Le
jury de la 2ème session de la 2ème vague des IDEX qui
fait suite aux deux sessions de la 1ère vague et précède la 3ème
session de la 2ème vague vient de rendre son verdict et le piège des
IDEX se referme sur tous les acteurs.
Il
se referme d’abord sur le jury, marqué idéologiquement, contestable
scientifiquement et taraudé par les conflits d’intérêts à un tel degré que même
la décision la plus objective ne sera jamais légitime. Rappelons tout de même
qui participe à ce jury.
Il y
a d’abord le président, Jean-Marc Rapp, ancien président de l’association des
Universités Européennes, un lobby bruxellois. Il y a Rolf Tarrach, recteur de
l’université du Luxembourg qui lui a succédé à la présidence de ce lobby et qui
trouvait très spirituel de déclarer le jour de son élection « Les universités sont les institutions les
plus conservatrices après les religions et les syndicats ». Rolf
Tarrach qui prône ouvertement le « rapprochement
des universités et du privé » au motif qu’il n’y aurait pas assez
d’argent pour financer le SUP. Quelle raison objective justifie le choix de ces
personnalités ? Qu’ont-ils réussi de si fantastique pour juger de la pertinence
des projets des universités françaises ? La réponse est simple :
rien.
L’université
de Lausanne qu’a aussi présidé M. Rapp est dans les profondeurs du classement
de Shanghai entre le 200ème et le 300ème rang. Quant à
l’université du Luxembourg elle ne figurait ni au classement de Shanghai, ni à
celui du THE ou de QS lorsque M. Tarrach en était le recteur. Alors on est allé
chercher quelques cautions scientifiques anglo-saxonnes. Ce sont souvent des
seconds couteaux, et leur nom importe moins que celui de l’institution qui les
héberge. « Caltech », « McGill », il faut que ça
brille ; c’est de la politique Fouquet’s les IDEX !
Et
puis il y a les autres/la mère qui ne dit rien/ou bien n’importe quoi/Et du
soir au matin/Sous sa belle gueule d'apôtre/Et dans son cadre en bois/Y’a la
moustache du père/Qui est mort d'une glissade/Et qui r’garde son
troupeau/Bouffer la soupe froide/Et ça fait des grands flchss/Et ça fait des
grands flchss… pardon je m’égare mais « Ces Gens-là » de Brel va bien
à ce jury.
Car
la mission de ce jury est ingrate ; il est l’instrument du capitalisme le
plus brutal et le plus cynique. L’objectif des IDEX n’est ni l’excellence
scientifique, ni l’avenir de la France, non. L’objectif des IDEX est bien plus
prosaïque. Il s’agit de mettre les moyens de la France au service d’intérêts
privés, de certains groupes industriels et de leurs actionnaires qui ont mis le SUP et la recherche en coupe réglée depuis 20 ans pour améliorer
leurs bénéfices.
Et
pour s’en assurer et être certain que l’argent ira là où il doit aller, il y a
dans le jury plusieurs représentants de ces intérêts industriels. M. Bamberger
d’EDF, par exemple, également « parrain » en 2012 de la promotion de
l’école de management de Grenoble, associée au projet IDEX. Il y a aussi Mme Martha
Crawford-Heitzmann de la société L’Oréal à l’origine, avec Nestlé, de la Joint
Venture Galderma à Sophia Antipolis. Les conflits d’intérêts au sein de ce jury
sont tellement nombreux qu’il a fallu faire en urgence un communiqué en
décembre dernier pour expliquer que les membres concernés se déporteraient tout
en précisant qu’il n’y avait pas toujours « conflit d’intérêts à
proprement parler »… Mais comment peut-on juger objectivement de plusieurs projets lorsqu'on a suivi de près depuis plusieurs années le développement d'un de ces sites mais pas des autres?
Le
voici donc, ce jury bancal sous le feu roulant des critiques. Illégitime aux
yeux de ceux qui, comme moi, contestent la logique des IDEX, soumis à
l’attention inquiète du gouvernement, critiqué par les perdants, oublié par les
gagnants sitôt le communiqué publié.
Mais
le piège se referme aussi sur les
candidats ; les « gagnants » qui vont devoir réorienter leurs
financements sur l’IDEX et construire des usines à gaz pour faire fonctionner
leurs EQUIPEX, leurs LABEX et leurs IDEFI. Les « gagnants » qui
devront restructurer les « Alliances », « Fondations »,
« pôles de compétitivité » qu’ils ont créé avant les IDEX et qui
continueront à payer des hordes de consultants, d’experts et de comptables pour donner une raison d’exister
aux inspecteurs de l’ANR. Ces « gagnants » qui pourront fièrement se
dire « EXCELLENTS » au milieu de dizaines d’autres excellences, à
l’image de ces classements qui fleurissent dans les pages des magazines du
monde entier, tellement nombreux, tellement différents, que tout le monde aura sa
minute d’excellence. Warhol aurait adoré.
J’ai
une pensée pour ces présidents d’universités que j’ai vu s’investir sans
compter ces dernières années pour le prestige de leur établissement et qui
devront se justifier devant des censeurs bien moins capables qu’eux. Mais les « perdants »
aussi sont pris au piège, eux qui affirmaient hier que l’IDEX c’était
merveilleux, c’était l’avenir, c’était LA VIE pour mobiliser leurs chercheurs
et qui doivent aujourd’hui soit expliquer à leurs équipes qu’elles ne sont pas
« excellentes », soit rejeter la faute sur « les autres »,
vilipender le jury qu’ils adoraient, les concurrents, ceux qui n’ont pas voulu
y aller et ceux qui auraient bien voulu.
Le
piège des IDEX s’est refermé sur tous ces acteurs et d’autres encore, le gouvernement
qui ne pourra « vendre » ce néo-concours aux épisodes
incompréhensibles du commun des mortels, le Commissariat Général à l’Investissement
et son président de bientôt 74 ans censé construire l’avenir de la France, la
presse aussi qui relaie en boucle la communication politique sur les « millions » sans la
moindre distance critique.
Les
IDEX sont une version contemporaine de ce bouquin terrible d’Horace Mc Coy
« on achève bien les chevaux ».
Comme dans Horace Mc Coy, les IDEX exploitent la misère, la misère dans
laquelle les gouvernements successifs ont plongé l’enseignement supérieur et la
recherche en France et en Europe. Personne n’est dupe de ce simulacre
d’excellence, de ces millions largement virtuels, de ces intérêts privés qu’il
convient de satisfaire, mais la plupart font semblant, par crainte, par
habitude, par peur du ridicule, ou tout simplement dans l’espoir de grappiller
quelques miettes pour survivre.
Il y a pourtant de beaux projets, de belles idées et
tellement de dynamisme et d’innovation dans toutes ces universités, ces écoles
et ces organismes qui se sont mobilisés à l’occasion de cette course aux IDEX. J’ai
lu plusieurs projets, tous ne m’ont pas séduit, mais certains m’ont fait rêver.
Comme à la lecture du bouquin de Mc Coy on se dit que c’est un sacré gâchis et
qu’on aurait pu faire tant de choses merveilleuses pour la France sans
consultants, sans inspecteurs, sans ANR et sans IDEX, mais avec des crédits de
fonctionnement, des enseignants-chercheurs et des chercheurs. C’est bien triste
et bien misérable d’en être arrivé là, mais ce n’est pas la seule désillusion
depuis bientôt 4 ans.
Illustrations tirées du film de Sydney Pollack sur "on achève bien les chevaux"
Totalement d'accord avec vous... Une honte !
RépondreSupprimerFaisons-nous l'avocat du diable. Vous critiquez la présence dans les Jurys IDEX des représentants d’intérêts privés, de certains groupes industriels. On pourrait rétorquer qu'il n'y a là rien que de plus naturel, attendu que ce sont là les véritables "acteurs de l'économie" au service desquels les Universités sont tenues d'oeuvrer. D'autant qu'avant la professionnalisation des cursus universitaires et la réécriture des offres de formation en termes de "compétences" et "d'employabilité", ce sont ces mêmes acteurs qui demain sont susceptibles de recruter ces jeunes que désormais l'université a pour mission d'insérer professionnellement. Nous avons creusé notre propre tombe et les petits détails que vous décrivez pourraient apparaître anecdotiques tant le ver est dans le fruit...
RépondreSupprimerMerci Yann pour ce billet "excellent", à la critique affutée et pleinement pertinente. Mais pourquoi les propos les plus justes et les plus argumentés, et même quelquefois les propos de pur bon sens, ne sont pas entendus par nos gouvernants.
RépondreSupprimerPar ailleurs, le MENESR et Valls n'étaient pas obligés de suivre les propositions du jury.
Incitons Mandon à simplifier : arrêtons la prolongation des IDEX de la première et de la deuxième vague.
https://histoiresduniversites.wordpress.com/2016/01/23/echec-pour-luniversite-de-lille/