A gauche un cours de théologie à la Sorbonne (source), à droite un cours de management dans le HBX Studio de Harvard. 5 siècles séparent ces deux images et rien n’a fondamentalement changé: un prof parle à des élèves. De la Sorbonne de 1490 à celle de Parcoursup, le même schéma se perpétue et se renforce même ; un prof dispense un cours dont il a défini le contenu, le rythme, les attendus, les résultats. En quoi consistent réellement les innovations tant vantées des startups de la Edtech ? Peu de choses en réalité. On peut les classer en 3 catégories.
La première regroupe les plus nombreuses, celles qui prétendent « simplifier » l’enseignement par le digital. Plus prosaïquement il s’agit d’en réduire le coût. Cours en ligne, Mooc, Spooc, Cooc, « tutorat », « mentorat » et j’en passe, ne font que reproduire des schémas millénaires sans autre innovation que leur numérisation. Elles arrivent sur un « marché » déjà bien saturé où la concurrence est rude avec les grands groupes d’écoles privées qui se sont constitués dans les années 80/90. Elles simplifient l’accès à l’enseignement, à toute heure du jour ou de la nuit, sans déplacement, permettant à la fois de le massifier et de le fractionner, mais leurs résultats sont souvent médiocres. Elles font moins bien que l’enseignement en présentiel. Rares sont celles qui se risquent à repenser le modèle pédagogique et c’est tant mieux quand on voit le résultat de ces « boites à tutos » que je décrivais dans la chronique précédente.
Deuxième catégorie : le développement d’outils. C’est peut-être le créneau le plus prometteur. Après tout, nous avons tous apprécié de passer du tableau noir au tableau blanc, des rétroprojecteurs aux vidéoprojecteurs, du courrier au email. Inventer de nouveaux outils pédagogiques qui ne soient pas des gadgets est un vrai défi, mais les élus sont rares.
Troisième catégorie, les opportunistes, ces places de marché qui vivent sur le rêve des marchands souhaitant valoriser leur produit. Elles encaissent même quand le marchand disparaît. Le renouvellement rapide des startups, la nouvelle remplaçant celle qui vient d’être liquidée, leur offre un vivier pour l’instant inépuisable. Encore faut-il que les marchands existent, et donc soient financés, et qu’ils attirent un nombre croissant de « clients », ce qui reste à démontrer.
Au final l’univers de la Edtech fait preuve d’un manque réel d’imagination, de créativité et pour tout dire, d’innovation. Comment l’expliquer ? S’il y a probablement de nombreuses raisons, la racine du mal est peut être à trouver dans le syndrome du sang bleu dont le secteur des nouvelles technologies est victime, cette consanguinité qui s’affichait sur les portraits des Habsbourgs.
Dans l’interview qu’il a donné à News Tank, le très prolixe co-fondateur de AppScho, Victor Wacrenier exprime ses regrets : « Je constate simplement que les premiers à s’emparer du sujet Edtech en France sont les écoles de commerce, suivies des écoles d’ingénieurs. Les universités françaises sont derrière, alors qu’elles ont un potentiel réel à travailler à leur propre transformation numérique, au service de leur établissement, de leur marque et de leurs étudiants. J’espère qu’à l’avenir la Edtech ne concernera pas que les écoles privées ». Il n’a pas complètement tort, M. Wacrenier, mais il oublie une partie du diagnostic : si les universités s’intéressent peu aux EdTech, c’est aussi que le secteur des EdTech s’intéresse peu aux universités.
Les grandes écoles ont été des précurseurs et ont acquis une expérience indéniable dans la promotion des startups. Elles ont d'abord trouvé dans le dispositif un moyen simple d'améliorer les statistiques d’employabilité de leurs diplômés. "Startupeur" ça rentre dans la bonne case, alors que « en recherche d’emploi » ça fait tache dans les ratios de l’excellence. Pour certaines écoles d'ingénieurs, la création d'une "startup" est devenue la règle. En sortie d'étude le diplômé trouve un thème de recherche, crée une startup qui bénéficie de subventions multiples pendant 5 ans. Et après...
Et puis les diplômés des Grandes Écoles ont envahi l'écosystème des nouvelles technologies, utilisant l'argent public qui s'y déversait à flots. La EdTech est un monde clos qui fonctionne en réseau sous les auspices des Écoles et des entreprises qui leurs sont associées, en particulier Orange et la filière télécommunication. À cet égard, la composition des organes dirigeants des acteurs français de la EdtTech est caricaturale. Ils sont tous issus du même moule avec une hiérarchie immuable. À la tête de la structure des Énarques, des X et/ou des HEC. Beaucoup ont débuté à SciencePo. Celles et ceux qui se sont arrêtés rue St Guillaume occupent le deuxième étage stratégique avec quelques ESSEC et ESCP Europe. Enfin, pour la mise en œuvre de la stratégie et la création de startups, arrivent les bataillons sortis des écoles de commerce ou d’ingénieurs de second rang. Il n’y a que sur les postes que je qualifierai par provocation de « non-stratégiques » que l’on trouve des cursus moins « classiques » : RH et communication.
Au COMEX (comité exécutif) de BPI France, le chef d’orchestre de la EdTech ? 4 X, 2 énarques, 2 «Ponts » 1 SciencesPo 1 ESCP, 1 ESSEC et 1 Euromed. Les responsables régionaux de BPI France ? Des Skema ou des ESC Toulouse. La Caisse des dépôts qui injecte l’argent public dans la machine ? Un HEC à sa tête, 5 ENA/SciencePo (dont 1 rajoute l’ESSEC à son tableau de chasse), 1 SciencePo/Dauphine, 1 ENM… Le SGPI qui détient l’argent des PIA ? 1 Énarque, 1 HEC, 2 ENSPTT. Éducapital, le fonds d’investissement richement doté par les sus-nommés ? 1 HEC et 1 centralien. 3T Télécom, l’autre grand fonds d’investissement des EdTech ? 1 X et 1 Pont Paritech. La FrenchTech ? 1 centralien comme ex-directeur. Quant à Victor Wacrenier, si disert tout à l’heure, il a la double casquette Supinfo, ESCP Europe. La seule « université » nommée dans ces organigrammes n’en est pas une : Dauphine.
Je ne doute pas de l’excellence de ces institutions et de ces personnes, mais je doute qu’il faille nécessairement puiser dans cet unique vivier pour trouver tous les gens compétents à tous les postes. En regardant de plus près leurs cursus on comprend d’ailleurs que ce n’est pas la qualité de la formation qui a joué un rôle déterminant mais, le plus souvent, les premiers jobs que ces écoles leur ont permis de décrocher. Des jobs techniques en support aux politiques. Près des yeux, près du cœur...
Or tous ces créateurs de startups appliquent à peu près la même méthode : partir de l’existant et voir ce que les nouvelles technologies permettent de gagner. L’innovation est très limitée et je pense qu’il y a plus de créativité le mercredi à 8h15 dans le préfabriqué 2.4. posé sur le parking de mon université que dans toutes les startups Edtech labellisées FrenchTech. Arrivent dans ce cours des dizaines d’étudiantes et d’étudiants qui veulent entreprendre. Telle veut commercialiser de nouveaux bijoux, tel un concept de partitions, des books photos, une nouvelle approche des discussions en s’inspirant des AG qu’il tenait dans l’amphi, ou un spectable vivant.
Monoculture, absence de diversité, comment imaginer que l’on puisse créer un facebook ou un Google en France quand les financeurs, les stratèges et les politiques sortent du même moule avec le même CV et le même corpus idéologique ? L’opacité que je reprochais aux Startups dans ma première chronique n’a d’égal que celle des circuits de financement public. Ce n’est pas moi qui le dit, du moins pas seulement. La Cour des comptes s’en était inquiétée dès 2016 en examinant la situation de BPI France pointant également l'importance des risques financiers mal maîtrisés. Il n’y a pas d’évaluation externe de la EdTech. Les bénéficiaires sont également les évaluateurs et les prescripteurs. Dans ces conditions, la première mesure à prendre pour espérer dynamiser le secteur serait d’imposer une publicité des comptes pour tous les acteurs mobilisant des financements publics. Et il faudrait commencer par les financeurs, BPIFrance, FrenchTech, Caisse des dépôts ou Éducapital, avant les entrepreneurs !
Une fois la transparence acquise, il faudrait donner plus de diversité à cet écosystème en élargissant le vivier des acteurs qui manipulent les fonds publics. Hélas la tendance actuelle n'en prend pas le chemin, au contraire, comme le montre le nouveau modèle d’organisation qui se généralise chez les acteurs de la Edtech pour s'imposer face à la concurrence.
A suivre...
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