samedi 29 septembre 2018

EdTech : le mobile de Calder

Cette tribune sera, je l’espère, la première d’une série consacrée aux « EdTech », les nouvelles technologies de la formation. NewsTanks qui prépare un salon sur le sujet, vient de faire une série d’articles très intéressants, mais…

La « EdTech » a tout pour passionner un enseignant-chercheur. Réfléchir à l’avenir de la formation, à ses transformations, beau sujet. Et puis ne dit-on pas que ces « EdTech » vont ringardiser les formations universitaires ? Il y a aussi cette colonne dans un tableau publié par NewsTank, « Levées de fonds », et les chiffres « 14M€ en 2016 », « 3M€ en 2015 », « 43M€ en 2018 », « 51M€ en 2018 ». L’addition correspond vite au budget d’une université… Les Edtech seraient un nouvel Eldorado, l’avenir du business de l’éducation.

J’ai une autre lecture de ce phénomène. Je me souviens de Geneviève Fioraso expliquant que les universités allaient gagner de l’argent avec les MOOC… on a vu le résultat. Un dispositif moribond remplacé par les « SPOOC » et les « COOC » (pour « Corporate Open Online Course », les formations en ligne proposées par les entreprises), bref par la formation à distance et la formation professionnelle numérisée. La EdTech prend le même chemin avec les mêmes défauts.

Malgré l’accumulation de superlatifs et d’hyperboles, la EdTech n’est pas très innovante. Sans entrer dans les détails dès cette première chronique, elle souffre du même handicap que les MOOC : le modèle d’enseignement ne change pas. Il se numérise, se pare de gadgets plus ou moins pertinents, mais je n’ai pas trouvé un projet qui propose une nouvelle approche crédible du processus de formation.

De ce constat s’en déduit un second : on peut douter de la rentabilité réelle de la EdTech, d’autant que, troisième constat, la EdTech est opaque. Très opaque. À l’heure où l’influence des lobbys est critiquée, où les conflits d’intérêts entre public et privé sont dénoncés, la EdTech se développe sur ce mauvais terreau. Pour l’heure c’est surtout à coup d’injection massive d’argent public que la EdTech survit, de l’argent dont le service public de l’éducation aurait bien besoin.

Qu’est-ce qui caractérise l’écosystème de la EdTech ? Pour le savoir je suis parti de l’article de NewsTank sur les « 20 entreprises EdTech à suivre » et j’ai examiné chacune de ces « startups ». Un premier constat, en forme d’excuses anticipées : malgré tous mes efforts, il se peut que je me trompe dans l’analyse de telle ou telle situation. L’information est parcellaire, parfois contradictoire, et je ne suis pas à l’abri d’une erreur. N’hésitez pas, si vous en décelez une, à me le signaler afin que je corrige.

Je ne vous apprendrai rien en écrivant que l’écosystème de la EdTech est très volatile. Ma chronique sera plus pertinente si j’évoque l’opacité de la EdTech. Jean-Marc, Patrick, Mathieu, Martial, Maxime, Boris, Anthony, même si je citais les noms cela ne vous dirait rien. Ils se disputent pourtant le leadership du business du SUP, obtiennent plus d’argent public que la ministre ne vous en lâcherait dans une négociation budgétaire, mais ils vous sont inconnus.

Ce qui frappe immédiatement quand on s’intéresse à la EdTech c’est le contraste entre le foisonnement des interviews, tweets et autres conférences « online » des multiples fondateurs de startups « disruptives » et l’extrême discrétion des mêmes à propos de leur business. Les Sociétés par action simplifiées, à actionnaire unique ou non, sont privilégiées. La plupart ne publient pas leurs comptes, les sites internet n'ont pas de "mentions légales" et sur leurs pages LinkedIn, les « génies créateurs » de ces « licornes » de demain omettent de mentionner une partie de leurs activités.

Sur LinkedIn, Nicolas Hernandez, co-fondateur de 360Learning, la plateforme de Moocs qui concurrence FunMooc, est « CEO @360Learning » dans la « région de New york », mais il oublie de mentionner Myrtilla, sa précédente société en liquidation ou « Nicoconut » qu’il vient de créer le 16 février dernier et qui ressemble bien à une holding. Quant à son co-fondateur Guillaume Alary Raisonnier, il ne précise pas non plus qu’il détient lui aussi une holding : « Olympe Holdings ».

Anthony Kuntz, le patron de Digischool, précise bien qu’il dirige également Kreactive, mais «oublie» « Ocube Participations », « AB Brunard », et surtout « ISTYA », dissoute le 1er oct. 2016, « Kreactive Technologie » dissoute le 30 novembre 2017, « MIKAMIRE», « EFFERVEA»… dans les EdTech aussi on se cache pour mourir et on a la mémoire courte.

Le record dans le genre est probablement le bouillonnant patron d’EdUniversal, Martial Guiette qui avait multiplié les sociétés couvrant tout le secteur de l’éducation, depuis le classement des formations jusqu’aux écoles en passant par l’agence de COM dans le SUP, le cabinet de recrutement RH et… la restauration et la viticulture puisqu’il était également propriétaire de vignes. L’annonce, vraie ou fausse, qu’il allait recruter Marion Maréchal Le Pen a précipité le sort de son groupe et la plupart de ses sociétés sont aujourd’hui en liquidation ou en redressement judiciaire. Mais il ne renonce pas pour autant et a créé le 27 août dernier « EdUniversal Reconquête », société holding dont l’objet social « la détention de filiales et participations, notamment dans le secteur du Conseil et du multimédia, dans le secteur de l'Education Supérieure et de l'emploi, et la gestion de l'unité de direction des entités qu'elle détient » rappelle furieusement celui de sa précédente société.

L’écosystème de la EdTech ressemble à un mobile de Calder : une nuée de sociétés accrochées autour d’un ou plusieurs entrepreneurs dans un équilibre instable et en mouvement permanent. L’une tombe, une autre vient s’accrocher aux branches de ce mobile et le défi est d’éviter que tout l’édifice s’écroule. Ce mobile en équilibre utilise toutes les finesses du droit des sociétés. Il s’agit tout à la fois de limiter les risques, de permettre l’ouverture du capital à des financeurs sans perdre le contrôle de l’activité, d’offrir une certaine discrétion à l’activité, d’assurer une optimisation fiscale, une croissance externe et, éventuellement, une revente profitable. Et parfois, comme avec EdUniversal ou Digischool, le mobile est très complexe !



Ce système est-il viable économiquement ? Autant que le loto ou la roulette. Si la presse communique beaucoup sur les levées de fonds, il est difficile d’avoir des informations sur le chiffre d’affaire. Et quand elles sont disponibles c’est la surprise : à quelques rares exceptions près (Klaxoon, @managexam), ces sociétés ne dégagent pas de quoi verser un salaire. Alors comment peuvent-elles survivre et comment les dirigeants peuvent-ils se rémunérer ? Par les levées de fonds. L’argent récolté servira à financer l’activité et à se rémunérer jusqu’au jour où les bénéfices seront au rendez-vous. Une vie à crédit en quelque sorte.

Et c’est là que les choses se gâtent. Pour lever des fonds il ne suffit pas d’être un super démonstrateur de supermarché, il faut des relations. L’histoire de 360Learning illustre parfaitement le processus. À l’origine du projet, en 2009, deux créateurs, Nicolas Hernandez (Polytechnique) et Guillaume Alary Raisonnier (Essec) développent « Myrtila », du « social learning » ou, selon le « pitch » d’un des fondateurs « le lean au service du e-learning ». Derrière ces barbarismes il s’agit de vendre aux entreprises une plateforme « trucs et astuces » qui permet aux salariés de faire des tutos en ligne pour leurs collègues en faisant miroiter aux DRH des économies substantielles sur les frais de formation. Sylvie montrera ainsi à Norbert sa technique infaillible pour récupérer la clé de 13 coincée dans le tapis mécanique.

Promo, appel de fonds (280.000€), échec. Aujourd’hui la boite est en cours de liquidation. Entre temps ils rencontrent Jean-David Chamboredon. Le nom ne vous dit rien ? Le porte-parole du mouvement des Pigeons et président exécutif d’ISAI Gestion, entité du fonds d’investissement ISAI créé par Ouriel Ohayon, Stéphane Treppoz, Pierre Kosciusko-Morizet et … Geoffroy Roux de Bezieux nouveau président du MEDEF. Avec eux arrive un autre fonds d’investissement « 3T » (pour Telecom Technologies Transfert »), société de capital-risque partenaire de l’Institut Mines-Télécom dont les principaux actionnaires sont le Fonds Européen d’investissement et BPI France, bref, des financements publics. Ils obtiennent alors 1,2M€ pour relancer un nouveau projet « 360Learning ». Cette fois l’idée est de faire du « mobile learning ». C’est reparti pour les tutos en ligne, mais sur téléphone cette fois. Officiellement la solution existe toujours. Mon diagnostic : échec.

Vient alors la nouvelle idée, plus efficace : « 360Learning universities », une plateforme à destination des entreprises pour héberger leurs formations en ligne. L’équivalent de FunMooc (en mieux) pour le privé. Pour ceux qui connaissent un peu l’environnement des startups, les plateformes ou « places de marché » sont le centre névralgique du commerce en ligne, comme les supermarchés pour la distribution. À cette activité s’ajoute depuis quelques jours le data-mining et l’hébergement de données ; logique. Le modèle économique est plus solide, mais le secteur très concurrentiel. Pour attirer les clients il faudra de solides arguments et… des relations.

Comme le monde est bien fait, en avril 2017, Nicolas Hernandez avait dit tout le bien qu’il pensait du candidat Macron dans le Figaro. Et en novembre 2017, En Marche lance son premier MOOC « agir près de chez moi » en partenariat avec 360Learning. Le parti, à son tour, dit tout le bien qu’il pense de la startup et devinez quoi? En Marche a reçu le prix de l'organisation la plus innovante pour son Mooc sur 360Learning lors de la cérémonie des Mooc of the year organisée par "MyMooc" une autre plateforme qui vend des formations "certifiantes" en ligne. Qui connaissait l'Ancien Monde ne sera pas dépaysé dans le Nouveau Monde.

C’est à ce stade que mon enthousiasme pour la EdTech décline. Que des investisseurs veuillent parier sur des startups comme d’autres jouent au loto c’est leur problème. En revanche que ces investisseurs utilisent de l’argent public via BPI France et le Fond Européen d’Investissement devient beaucoup moins acceptable. On ne joue pas au loto avec les impôts. Et que les connivences s'affichent de façon aussi flagrante est également problématique car une dernier question se pose : après deux échecs on peut être méfiant. Qui évalue le potentiel réel de 360Learning ? Quel acteur indépendant peut, en toute objectivité, évaluer les risques liés à ce projet  et plus généralement aux différents projets EdTech ?

À suivre.

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