Le programme d'Emmanuel Macron sur le SUP est sorti. Sans surprise, il s'agit de dupliquer en France un prétendu "modèle américain" dont l'échec, faut-il le rappeler, a été au coeur des discours de Mme Clinton, de Bernie Sanders ou du président Obama pendant la campagne présidentielle. Sur twitter je l'ai qualifié de stupide et mauvais. Proposer un système qui échoue c'est un mauvais programme. Proposer un système dont on mesure aujourd'hui les échecs c'est stupide. Voici, plus en détail, les raisons de ce jugement.
Un universalisme trompeur
Le projet d'Emmanuel Macron reprend les arguments qui avaient été développés au moment de la présentation de la LRU par Valérie Pécresse. Pas étonnant, les conseillers sont les mêmes, Aghion notamment.
Le premier de ces arguments est d'implanter en France le "modèle international" de l'enseignement supérieur et de la recherche c'est à dire... le modèle des universités privées américaines. Premier mensonge: ce modèle n'est pas universel loin s'en faut. Il ne concerne qu'un petit nombre de pays anglo-saxons et dans ces pays un petit nombre d'établissements qui accueillent une infime minorité des étudiants et des chercheurs. Aux États-Unis il s'agit pour l'essentiel de 6 des 8 universités privées de la IVY League.
Le modèle "Suisse", par exemple, est très différent. On retrouve un financement massif de la recherche comme aux USA, mais c'est un financement public. Le modèle chinois est bien plus important que le modèle US aujourd'hui et là aussi il est très différent. L'excellence se concentre aussi sur quelques établissements, mais seulement des universités ou des instituts publics entièrement financés par l'État avec des enseignants-chercheurs fonctionnaires. Le privé se développe, en complément de l'excellence. Et idem du modèle Allemand, ou du modèle finlandais qui faisait fantasmer l'Europe il y a encore un an.
On peut trouver le modèle des 6 universités privées de la IVY League fantastique mais il n'a rien d'universel, il est au contraire marginal.
Une excellence douteuse
Deuxième argument, ce modèle "universel" serait le modèle de l'excellence. Là aussi je le conteste. Ce modèle a été présenté fallacieusement comme un modèle d'excellence. On critique aujourd'hui, avec raison, le classement de Shanghai, mais on oublie que M. Aghion en avait fait l'argument de vente de la LRU prétendant qu'il mesurait l'excellence (cf son PPT à V. Pécresse ci-dessous).
Pour ceux qui l'ignorent, à partir de 2003 un groupe d'économistes libéraux a cherché à "vendre" la privatisation du SUP en France. Leur propagande se fondait sur d'obscures publications de l'OCDE difficiles à promouvoir. Le classement de Shanghai est venu comme une bénédiction pour ces idéologues qui s'en sont emparé avec le succès que l'on voit. Mais rien à voir avec l'excellence universitaire. Classer les universités en fonction du nombre de "Nobel" qui seront bien souvent déchargés d'enseignement, ne me paraît pas refléter une quelconque excellence pédagogique.
Quant à l'excellence scientifique, elle repose sur le système du publish or perish et des bases de données payantes. Outre la critique que l'on adresse à la course aux publications qui fait de la quantité plutôt que de la qualité, on a vu l'absence de pertinence des bases de données. Thomson Reuters s'est fait une spécialité de prédire les lauréats Nobel à partir de leur notoriété sur sa base de données Web of Science. Résultat: échec presque systématique. En 2014 ils annonçaient ainsi M. Aghion comme Nobel d'économie. Le pauvre attend toujours... Comme quoi le jury Nobel n'a pas la même vision de l'excellence qu'Emmanuel Macron et ses conseillers.
Le mirage d'un Eldorado scientifique
"Ça me semble difficile de dire que sur le plan recherche, les US marchent moins bien que la France" me répond un lecteur. Oui la recherche américaine est brillante. Parce qu'elle a des moyens. La recherche Suisse aussi est brillante, parce qu'elle a les mêmes moyens. La recherche française est brillante... quand elle a des moyens. Ce n'est pas le modèle qui fait l'excellence, c'est l'argent qui est investi dedans!
Le programme d'Emmanuel Macron est basé sur le postulat selon lequel le modèle fait les moyens. La richesse des universités américaines s'expliquerait par la "libéralisation" des financements. Un pur discours néo-libéral. C'est faux, ABSOLUMENT faux! Il suffit de consulter les budgets des grandes universités privées américaines, y compris celles de la IVY League, pour constater que leurs financements proviennent avant tout de l'État et des agences fédérales. Ce sont d'abord les crédits militaires qui financement la recherche US, puis ceux de santé. La part des crédits privés sur projets dans les budgets est faible et comparable à ce que l'on retrouve dans d'autres pays. Si on veut avoir les mêmes résultats qu'aux USA, il faut que les budgets militaires financent les universités et que les organismes de recherche soient intégrés aux universités. Mais là-dessus Emmanuel Macron recule ce qui rend son projet incohérent.
Le grand malentendu
Emmanuel Macron promet de sanctuariser le budget de l'ESR ? On a vu ce que ça a donné avec François Hollande. Des charges supplémentaires avec un budget stable ce n'est pas un sanctuaire, c'est un cimetière.
Le programme d'Emmanuel Macron repose sur un malentendu volontairement entretenu depuis la LRU par les cercles libéraux. Les collègues qui rêvent d'Amérique admirent les moyens mis à disposition des chercheurs et des enseignants alors que les conseillers d'Emmanuel Macron y voient une technique pour désengager l'État de l'enseignement supérieur. Chaque université US reçoit pour chaque étudiant des moyens sans commune mesure avec ceux que l'État attribue aux universités françaises. Si l'État se désengage, le "modèle international" coule comme on l'a vu avec la LRU et les RCE qui ont mis en faillite les 3/4 des universités en 5 ans.
Et si l'État ne finance pas alors ce sont les étudiants qui devront payer. Ça, le programme de M. Macron le passe opportunément sous silence. C'est pourtant le principal échec du modèle américain. Non seulement la ségrégation par l'argent est très forte, mais le financement par l'emprunt a créé une bulle financière qui menace aujourd'hui d'exploser emportant avec elle le miracle des universités privées américaines.
Clientélisme et conflits d'intérêts
Emmanuel Macron nuance d'ailleurs sa promesse de moyens par une vision purement utilitariste de l'ESR. Les moyens ce sera pour certaines recherches, celles qui "rapportent" et ce sera sur projet. C'est le pire défaut de ce programme car, derrière le vernis de l'excellence, le projet d'Emmanuel Macron c'est le système que nous connaissons, celui voulu par la Droite en 2007, qui consiste à faire financer par l'impôt et la recherche publique la R&D des grands groupes industriels privés pour augmenter les dividendes reversés aux actionnaires. Ce système a fait prospérer les conflits d'intérêts et il est bien hypocrite de s'émouvoir à chaque scandale sanitaire lorsque l'on donne pour mission à la recherche de servir les intérêts privés. De ce point de vue, le programme d'Emmanuel Macron est une catastrophe scientifique, éthique et économique qui bride l'innovation et les mutations pour préserver les intérêts de quelques-uns.
On peut espérer qu'instruits par l'expérience, nous soyons nombreux à ne pas tomber dans ce piège à gogos. A voir les déclarations enthousiastes de la CPU sur l'État Stratège ce n'est pas gagné. Mais il ne faut jamais désespérer!
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