La publication des chiffres actualisés de la
mobilité internationale de l’UNESCO par Campus France est une aubaine pour les déclinistes. Il y aurait une « rupture »
depuis 2012, une baisse des inscriptions en doctorat et une perte d’attractivité du SUP français, en particulier des
universités. Le communiqué de Campus France évoque une situation
« préoccupante ». Les propos de sa directrice sont même anxiogènes.
Dans Le Monde ou Le Figaro, elle affirme que « les universités marquent le pas », que « l'on constate une baisse des inscriptions de doctorants internationaux » et que le « soft power français est concurrencé par des pays dont on ne
partage pas forcément les valeurs »
(Arabie Saoudite, Turquie, Chine, Russie… suivez mon regard).
Dans Challenges, Bernard Ramanantsoa, ancien
DG d’HEC, en profite pour jouer les Cassandres – ou plus
modestement les Jacques Attali – en reprenant les propositions de son livre et en brodant sur le
rapport de France Stratégie publié à l’automne dernier sur un sujet pourtant
assez différent (les formations délocalisées).
Pourquoi sonner le tocsin ? D’abord, nous
dit-on, la France perd la 3ème place au classement mondial de
l’UNESCO. Ensuite, il y a une « baisse de la hausse » de la mobilité
entrante. Le SUP français accueille toujours plus d’étudiants en mobilité
internationale, mais la croissance est plus faible qu’au niveau mondial. Enfin
les universités sont les principales responsables de cette perte d’attractivité
et plombent les statistiques avec un taux de croissance très faible comparé à
celui des écoles. Ces affirmations sont pourtant largement contredites par les
données que présente Campus France.
Changement de méthode
Première inquiétude, la France aurait perdu
la 3ème place mondiale. Diantre ! D’abord tout dépend de la source,
l’UNESCO ou l’OCDE, dont les périmètres étaient différents. Dans les
statistiques de l’OCDE la France était à la 4ème place derrière les
USA, le Royaume-Uni et l’Australie en 2001 et… toujours en 2016. Rien n’a
changé en 15 ans. Dans celles de l’UNESCO la France était à la 4ème place derrière les 3 mêmes pays mais était passée devant l’Australie (de peu)
il y a 2 ans.
Par souci de cohérence, les périmètres
statistiques des deux Institutions sont aujourd’hui harmonisés, du moins en
théorie. Or c’est la modification de ses critères par l’UNESCO qui fait perdre
à la France sa 3ème place. Campus France l’expliquait d’ailleurs
parfaitement en décembre dernier en publiant ses Chiffres-clés. L’agence
alertait sur un « brusque repli dû
non pas à une soudaine perte d’attractivité, mais à un changement de méthode de
recensement » (voir page 6), bref tout le contraire des
déclarations alarmistes de la semaine dernière. 3ème ou 4ème
cela ne signifie rien.
Démocratisation et régionalisation du SUP dans le monde
Les conclusions que l’on peut tirer des
données mondiales sont plus subtiles et beaucoup plus intéressantes. Depuis 2009, l'ONU
souligne deux tendances de fond : la démocratisation du SUP dans le monde,
avec une croissance très forte du nombre d’étudiants, et la conséquence (ou la limite)
de cette démocratisation, la
régionalisation de la mobilité. Les étudiants restent de plus en plus dans leur
région d’origine. C’est particulièrement vrai pour l’Amérique Latine et les
Caraïbes, mais aussi en Asie et aujourd’hui en Afrique.
La diversification des acteurs, associée à
une forte croissance mondiale du nombre d’étudiants explique aisément que la
part relative des grands pays d’accueil diminue. Comme le notait déjà l’UNESCO
l’année dernière, la part des 6 premiers pays d’accueil est ainsi passée de 56%
à 50% de la mobilité mondiale entre 2000 et 2013. L’OCDE aboutit à la même conclusion soulignant que la mobilité a reculé dans certains pays d’accueil
traditionnels comme l’Allemagne ou les USA avec l’émergence de nouveaux acteurs
sur le « marché international de l’éducation ».
Le ralentissement de la croissance n’est donc pas propre à la France, il
témoigne du dynamisme du SUP dans le monde plutôt que du déclin de la France ou
d’un autre pays.
source: Le Monde
De ce
point de vue, le graphique remis à la presse par Campus France (voir celui du
Monde reproduit ci-dessus) peut induire en erreur. Quand on présente sur un
même schéma le tout et une partie de ce tout, il vaut mieux travailler en base
100 ou en pourcentage pour ne pas écraser la courbe. Si l’on compare les
pourcentages, justement, la conclusion est plus nuancée. Certes, comme le note
Campus France, la croissance mondiale est plus forte (bien qu’erratique) que
celle de la France. Mais on devrait surtout se féliciter de la dynamique retrouvée en 2015-2016 ! Si la mobilité mesurait vraiment
l’attractivité des universités on devrait s’enorgueillir de ce renouveau au
lieu de s’inquiéter. Mais, en réalité la mobilité ne mesure pas l’attractivité.
La mobilité indicateur très imparfait de l'attractivité
Lorsque l’UNESCO ou l’OCDE présentent leurs
statistiques, elles prennent garde de ne pas parler d’attractivité, mais bien
de mobilité internationale (voir, par exemple le ProjectAtlas de l’OCDE ou la page dédiée de l’Institut de Statistique de l’UNESCO). Et pour cause ! Le critère principal retenu par ces organisations est le franchissement physique d’une frontière
internationale pour s’inscrire dans un programme diplômant, non la nationalité
de l’étudiant. Selon la définition donnée par l’UNESCO : « Un étudiant en mobilité internationale est
une personne qui a franchi physiquement une frontière entre deux pays dans
l'objectif de participer aux activités éducatives du pays de destination ».
Ainsi, les étudiants en séjour d’étude ne sont pas comptabilisés. De même, les
campus ou formations délocalisées ne sont pas intégrés aux statistiques. A
l’inverse, un bachelier français du lycée de Bangkok qui revient en France
poursuivre ses études supérieures doit en principe être intégré aux
statistiques sans que l’on puisse vraiment considérer qu’il s’agit là
d’attractivité.
Encore doit-on nuancer la réalité de cette
harmonisation. Quand on prend le temps de se pencher sur la méthodologie
retenue par les deux institutions, on constate la très grande hétérogénéité des
données recueillies par les pays. Sur
la quarantaine de pays suivis par l’OCDE 28 dérogent à la définition (OCDE, Education at aGlance 2016, annexe 3, pp. 98-99). Reste à comprendre la cause de ces fluctuations et, en particulier, l’écart
important entre les grandes écoles et les universités.
Des causes mondiales et multifactorielles
Pour justifier le ralentissement de la
mobilité internationale en France on invoque des facteurs externes comme la
circulaire Guéant qui restreignait drastiquement les conditions de délivrance
des visas étudiants. Cette circulaire profondément choquante est entrée en vigueur le 31 mai 2011 pour être abrogée le 31 mai
2012. Son influence peut expliquer la quasi-stagnation des recrutements
internationaux en 2012-2013. On remarquera néanmoins que le ralentissement de
la croissance des effectifs en mobilité avait commencé deux ans auparavant et
qu’il y a également un tassement de la mobilité au niveau mondial que la
circulaire ne peut expliquer. Comme le soulignait l’OCDE en 2013 « les flux d’étudiants à destination de pays
d’Europe, d’Asie orientale et d’Océanie reflètent en général l’évolution géopolitique
des régions, par exemple le resserrement des liens entre les pays de la région
Asie-pacifique et le renforcement de la coopération au sein des pays
européens, au-delà de l’Union européenne ». Il faut donc se garder de
conclusions hâtives sur les causes réelles des fluctuations statistiques qui
sont d’évidence multifactorielles. En revanche il est beaucoup plus facile
d’expliquer la différence d’évolution entre universités et écoles.
Il suffit de revenir sur les tensions
budgétaires des opérateurs de l’enseignement supérieur pour comprendre les
écarts constatés entre les universités et les écoles. Depuis 2010, le
financement des universités est déconnecté de leurs effectifs. Qu’elles
accueillent plus ou moins d’étudiants, leur dotation stagne ou diminue. Elles
sont donc logiquement incitées à contingenter leurs effectifs, que ce soit au
niveau national (on l’a vu avec les capacités d’accueil) ou au niveau
international. La croissance de la mobilité internationale peut devenir un
handicap pour les universités qui vont être incitées à privilégier la qualité
de certains programmes internationaux au détriment des flux étudiants en
mobilité individuelle.
De façon symétrique, les écoles également
confrontées à des difficultés de financement ont été obligées de rechercher de
nouvelles ressources pour faire face à l’inflation de leurs coûts de
fonctionnement. Elles y sont parvenues en augmentant leurs droits d’inscription
et leurs effectifs. L’international, au lieu d’être une charge comme dans les
universités, était pour elles une issue qui leur a permis d’élargir le vivier
national de recrutement. La même cause a donc produit des effets opposés en
fonction du contexte dans lequel évoluent les différents types d’établissements.
Ces préoccupations économiques rejoignent
d’ailleurs le discours sur « l’excellence », breloque des
gouvernements successifs depuis 2007. Les IDEX qui concentrent les financements
sur un nombre très réduit d’étudiants à travers des partenariats
« d’excellence » sont l’illustration caricaturale de cette politique.
Il ne faut pas s’étonner ensuite que la mobilité internationale dans les universités
ralentisse.
Le même souci de prestige incite, au
contraire, les écoles à multiplier les recrutements à l’international,
l’internationalisation étant un critère déterminant pour se lancer dans la
course aux accréditations. Loin de traduire un différentiel d’attractivité,
l’écart constaté entre universités et écoles illustre les préoccupations
communes des deux sortes d’opérateurs : les financements et la notoriété. Placées
dans des situations antagonistes leurs réponses sont logiquement diamétralement
opposées. Pour dégager des marges financières les universités ont besoin de
réduire leur nombre d’étudiants et les écoles d’en avoir plus. Pour renforcer
leur prestige les universités sont incitées à se concentrer sur des programmes
d’excellence à l’international quand les écoles ont besoin d’augmenter leur
ratio d’étudiants étrangers pour bien figurer dans leurs accréditations EQUIS, AACSB
ou AMBA.
De façon plus globale, les facteurs endogènes
expliquent l’essentiel des fluctuations que l’on constate dans la mobilité
internationale en France. Quand on s’inquiète de la situation au niveau du
doctorat, il faut peut-être s’intéresser à la réforme des écoles doctorales et
au contingentement du nombre de doctorants par enseignant-chercheur qui s’est
progressivement imposé dans la plupart des universités pour comprendre la
situation. Et il n’est pas nécessaire d’être devin pour prédire que l’instauration
d’une sélection à l’entrée en master va, là aussi, avoir un impact à la baisse sur
la mobilité entrante dans les universités.
Stratégie d'acteurs Vs Stratégie de marque
Contrairement à ce que déclaraient les auteurs du rapport de France-Stratégie sur "l'enseignement supérieur par-delà les frontières", il y a une stratégie internationale des universités, mais c'est une stratégie d'acteurs par opposition à la stratégie de marque développée par les universités privées anglo-saxonnes et les écoles de commerce françaises. Ce sont en effet les enseignants-chercheurs, comme le notaient Bernard Ramanantsoa et Quentin Delpech, qui créent l'action internationale en fonction de leurs préoccupations et non les universités pour lesquelles l'international, n'est pas l'enjeu prioritaire. C'est de ce diagnostic qu'il faut partir si on veut faire évoluer la mobilité internationale en faisant preuve de cohérence.
Et il ne faut pas faire croire, en utilisant mal
à propos le terme d’attractivité que l’enseignement supérieur est devenu globalement
concurrentiel, il est marginalement concurrentiel. Jamais il n’y a eu autant
d’étudiants dans le monde, jamais il n’y a eu autant d’étudiants étrangers en
France et les universités françaises n’ont pas besoin d’avoir plus d’étudiants ; elles cherchent à en avoir moins. Quant aux écoles, elles ouvrent de plus en
plus de places et, sauf accident industriel, les remplissent sans coup férir. La
concurrence ne joue, et encore, que sur certaines disciplines, pour un petit
nombre d’établissements, pour un petit nombre d’étudiants disposant d’une
assise financière et de compétences académiques au-dessus du commun.
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