Après l'avis du Conseil d'État, le ministre a diffusé un communiqué dans lequel il se félicite d'un avis qui "clarifie l'incertitude juridique". On se demande quelle conception M. Mandon se fait de la fonction ministérielle car c'est plutôt à lui qu'il revenait de "clarifier l'incertitude juridique" comme le lui demandaient les universités depuis des mois. Il n'en a pas eu le courage, pas plus d'ailleurs que sa ministre. Au moins aurait-il pu remercier les étudiants et universités qui, faute d'action du gouvernement, ont pris leurs responsabilités et sont allés devant le juge administratif pour faire trancher la question.
M. Mandon s'engage par ailleurs à publier un décret qui "réaffirmera le droit de tout étudiant à poursuivre ses études en master jusqu'au terme de ce cycle". Cette phrase est inquiétante. C'est bien vers une solution hypocrite que l'on s'oriente.
Que va contenir le décret de M. Mandon? Je prends les paris.
Il faudra d'abord autoriser les écoles qui seraient en difficulté à sélectionner, soit à l'entrée du M1, soit en M2. On ne va pas jouer avec SciencePo, Polytechnique et consorts, cela fâcherait les amis de M. Mandon et de Mme la ministre. Une fois que cette question essentielle sera réglée, on s'occupera des universités.
Le gouvernement va trancher entre deux options aussi hypocrites l'une que l'autre. Soit il va tout simplement refuser toute sélection de la L1 au M2 en prévoyant quelques exceptions disciplinaires : Droit, Gestion, Psychologie, biologie. C'est la solution de facilité qui avait les faveurs du cabinet et que Le Monde relaie déjà. Soit il va autoriser les parcours sélectifs si, dans le même master, existe un parcours non sélectif. C'est la technique du parcours "poubelle" où viendront s'entasser les étudiants recalés dans les formations "de prestige".
Tout cela je l'ai déjà décrit ici il y a quelques mois. En pratique les deux solutions aboutissent au même résultat: la sélection par l'échec.
En principe les parcours ne figurent que sous forme d'un visa sur les nouveaux diplômes et ne sont pas mentionnés dans le tristement fameux RNCP. Pour une entreprise il sera quasiment impossible de distinguer le parcours "de prestige" du parcours "poubelle". La seule solution pour conserver toute la valeur professionnalisante des parcours "de prestige" sera donc de ne diplômer aucun étudiant dans le parcours non sélectif qui deviendra ainsi une voie de garage sans diplôme.
Et si M. Mandon décide de refuser toute sélection de la L1 au M2 c'est par l'échec en M1 ou en L3 que la sélection va se faire. N'obtiendront le diplôme de Licence ou l'année de M1 que les étudiants qui pourront poursuivre en M1, dans le premier cas, en M2, dans le second.
Cette sélection par l'échec sera d'autant plus inéluctable que les universités n'ont pas les moyens de former autant d'étudiants à Bac+5. Le ministère veut-il que l'on retire les moyens consacrés à la licence pour les réorienter sur les masters?
Dans le cas contraire il faudra des moyens, beaucoup de moyens, et des postes, beaucoup de postes! La vice-présidente du CEVU de mon université vient de faire le calcul: l'avis du conseil d'État augmente mécaniquement de 1500 étudiants les effectifs de masters à la rentrée prochaine. Sans compter les étudiants ayant obtenu leur M1 les années précédentes et qui n'avaient pas été admis en M2. On rappellera aussi ici que le gouvernement limite à 16 étudiants par enseignant-chercheur les capacités d'encadrement des mémoires. Dans le domaine DEG (Droit Economie Gestion) c'est simple: le nombre total d'étudiants rapporté au nombre total d'enseignants-chercheurs dans les sections CNU 1 à 6 est supérieur à ce ratio.
Pour ma part depuis plusieurs mois je plaide pour en finir avec la catastrophe du Processus de Bologne et de la "politique européenne de l'enseignement supérieur". Il n'y a qu'une solution qui permette à la fois de maintenir l'excellence des masters sélectifs et de reconnaître par un diplôme les compétences acquises par tous les étudiants de M1: la maîtrise.
Ce diplôme existe, les universités peuvent toujours le délivrer à la demande de l'étudiant. Il faut redonner du sens à la maîtrise, revaloriser ce diplôme, peut être à Bac+5 comme dans d'autres pays. Nous aurions ainsi un diplôme non sélectif mais reconnaissant un niveau de formation théorique à Bac+5, la maîtrise, et un diplôme sélectif à Bac+5, le master. Ce serait une façon de sortir "par le haut" du bourbier dans lequel l'incompétence et l'indifférence du ministère ont plongé étudiants et universités depuis 2007.
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