Un
été agité ! Après le débat sur l’augmentation des droits d’inscription,
c’est la question de la sélection en Master 2 qui est posée avec la
multiplication des procédures contre les universités en cette fin d'été. Cette sélection pose un
triple problème, juridique, pédagogique et politique.
Juridiquement
il y a urgence. Au Sud de la Loire, la sélection est refusée ; au Nord,
elle est admise. On se croit revenu au temps des pays de Coutume. En « Information-Communication » ou en «
Management, marketing et TIC » point
de sélection, en « Droit public- Droit
des contrats » ou « Mathématiques
– modélisation aléatoires » va pour la sélection ! Le tout en
référé, c’est-à-dire de façon provisoire.
Des
étudiants vont donc commencer des formations, ou en être écartés, avec le
risque dans quelques mois d’être exclus, ou au contraire réintégrés. Avec quelles
chances de réussite ? D’autres étudiants, en liste d’attente, ne seront
pas appelés mais pourront, comme tous ceux qui n’ont pas été retenus, engager à
leur tour des procédures en référé pour s’inscrire en cours d’année. Un
contentieux de masse qui peut exploser dans les semaines ou les mois qui
viennent. Pour toute réponse, les ministres concernés font de vagues annonces
destinées à minorer la difficulté en affirmant qu’il s’agit d’un
épiphénomène qui ne touche que certaines universités et certaines disciplines,
management, droit et psychologie. La réalité est que toutes les disciplines
sont concernées (dans mon université, Arts, LEA, Psycho, AES,
Géographie-Environnement…) et toutes les universités le seront.
D’un
strict point de vue juridique la règle est pourtant simple. L’article L.612-6
du code de l’éducation qui est au cœur des discussions dispose : « L'admission dans les formations du
deuxième cycle est ouverte à tous les titulaires des diplômes sanctionnant les
études de premier cycle ». C’est donc seulement la question de
l’entrée en première année de master qui est réglée par ce texte et qui est
« de droit » pour les
titulaires d’un diplôme de premier cycle, sauf décret instaurant des capacités
d’accueil. Aucun décret n’ayant été publié, il n’y a pas de capacités d’accueil
en M1 et donc aucune sélection possible à l’entrée en première année de master.
En revanche ce texte ne dit rien de la seconde année de master et il revient
aux universités, dans le cadre de leur autonomie pédagogique, de déterminer les
conditions d’entrée en M2.
Mais
être avocat c’est aussi être capable de construire une histoire et d’exploiter les
faiblesses du contradicteur. Cela fait maintenant plusieurs années que je
dénonce l’incompétence juridique du ministère de l’enseignement supérieur, une
incompétence qui s’est encore accrue depuis le ministère de Mme Fioraso. Et
force est de constater que Maître Verdier, à l’origine d’une grande partie des
recours, est un brillant conteur qui a su emporter la conviction de certains
juges administratifs peu familiers des universités.
Son
histoire est publiée sur son site internet et peut se résumer ainsi :
depuis l’entrée en vigueur du funeste processus de Bologne les études
supérieures sont organisées en 3 cycles, licence, master et doctorat. L’entrée
dans le cycle supérieur est de droit pour celui qui a acquis les Crédits
Européens du cycle précédent. Un cycle est un continuum pédagogique et les
universités ne peuvent l’interrompre ou organiser une sélection en cours de
cycle, donc la sélection en M2 est illégale, « Ossabandus, nequeis, nequer, potarinum, quipsa, milus. Voilà justement
ce qui fait que votre fille est muette » (non cette dernière partie
n’est pas de Maître Verdier mais de Molière, Le Médecin malgré lui, acte 2,
scène 4).
Une
bien belle histoire en effet, mais une histoire. Le décret 2002-482 qu’évoque
Maître Verdier ? Abrogé et seulement partiellement repris dans le Code de
l’éducation. Les cycles ? Ils sont bien mentionnés par l’article L.612-1
du Code de l’éducation, mais sans lien avec les diplômes. La LRU qui aurait,
toujours selon l’avocat, « inclus la
Licence au sein du premier cycle de formation universitaire et le Master au
sein du deuxième cycle » ? Ah la subtile omission de maître
Verdier qui oublie de préciser que le texte en question (art. 35 codifié à
l’article L612-1 al.2 du code de l’éducation) concerne les « grades » de licence ou de master,
pas les « diplômes » !
Et
oui, le législateur, pour faire plaisir à tout le monde, a baptisé du même nom
les « grades » et certains « diplômes ». Le « grade » de master correspond à un
Bac+5. Le « diplôme » de
master donne le « grade »
de master, mais les diplômes des Grandes Écoles de commerce ou des Écoles
d’ingénieurs aussi ! Alors oui le « grade » de master est conféré dans le cadre du deuxième cycle
et le « diplôme » de master
comme d’autres « diplômes »
donne le « grade » de
master, mais je mets au défi Maître Verdier de présenter un texte affirmant que
le diplôme de master est dans le deuxième cycle.
Et
Maître Verdier va plus loin et imagine un droit qui manifestement plait plus à certains
juges que le droit positif. Il affirme que « L'arrêté du 22 janvier 2014 qui fixe le cadre national du diplôme de
Master l'a confirmé. Le cycle master est organisé en 4 semestres, non en 2
semestres + 2 en option (ou sous conditions), mais 4 au total ». Pure
invention. L’arrêté du 22 janvier 2014 parle bien de « cycle » ou de « semestres » pour la licence et la
licence professionnelle mais pas pour le master ! Là encore, je mets
Maître Verdier au défi de présenter l’article de l’arrêté du 22 janvier 2014
mentionnant un « cycle de master »
organisé « en 4 semestres »…
Toute
l’intelligence de l’avocat est là, pointer la maladresse du législateur, la
complexité des textes puis compléter, réécrire au besoin, pour affirmer, alors
qu’aucun texte ne le prévoit, que les universités n’étant pas autorisées à
sélectionner en M1 ne le sont pas non plus pour sélectionner en M2.
J’arrête
là. Maître Verdier n’est pas à blâmer ; au contraire. Sa construction est brillante et
il ne fait qu’exploiter la médiocrité de la réforme LMD à la française. Et s’il
a pu emporter la conviction de certains juges un peu perdus, le ministère en
porte l’entière responsabilité et la raison en est très certainement autant pédagogique que juridique.
Car
le deuxième problème posé par la sélection en master 2 est pédagogique. Les
juges, comme les étudiants, ne comprennent pas que l’on puisse commencer un
master et que l’on ne soit pas autorisé à poursuivre en seconde année. Ils
oublient d’abord que l’étudiant a un diplôme à la fin du M1 : la maîtrise.
Les universités continuent en effet, sur demande de l’étudiant, à délivrer la
maîtrise.
Ensuite,
la sélection en master 2 est tout simplement une nécessité pédagogique. Les
collègues ne sélectionnent pas par plaisir mais par nécessité. Le master 2 est
une spécialisation qu’il n’est pas possible de développer pour un nombre
illimité d’étudiants. Lorsque mon université organise dans le cadre de son
master en Ressources Humaines une partie de la formation en Chine avec des
conférences, des visites d’entreprises, il n’est pas possible matériellement de
l’assumer pour des centaines d’étudiants. Lorsque des collègues élaborent un
master à dominante « recherche » pour préparer les étudiants au
doctorat, inscrire des étudiants qui n’ont pas de projet de recherche qui ne
trouveront pas de directeur de recherche et qui ne pourront pas faire une thèse
n’a aucun sens. Et dans les masters plus orientés sur l’insertion
professionnelle directe, doit-on former 10 fois, 100 fois plus d’étudiants
qu’il n’y a de potentiel d’emplois sur le secteur ?
Il y
a une évidence que tout le monde doit accepter : les masters sont des
formations d’excellence qui ne peuvent être dispensées qu’à un nombre limité
d’étudiants. La question devient alors politique.
Elle
illustre une nouvelle fois le désastre du processus de Bologne, un désastre que
la réforme des masters introduite par Geneviève Fioraso en 2014 n’a fait que
renforcer avec la suppression des « spécialités »,
claires et précises pour les entreprises comme pour les scientifiques, au
profit des « domaines »,
inutiles, des « mentions »,
trop générales, et des « parcours »,
honteusement cachés dans un « supplément
au diplôme » qui souligne, jusqu’au ridicule, la complexité du
dispositif. Songez que, pour les études linguistiques, il a fallu se battre
pour que le ministère accepte d’indiquer quelle langue étrangère l’étudiant
avait pratiqué ! Rue Descartes on était prêt à créer des masters « Langues » ou « Langues étrangères » sans préciser
« anglais », « russe », « allemand »… et l’on
nous parle de simplification pour une meilleure employabilité !
La
réalité est que tous les ministres qui se sont succédé depuis Valérie Pécresse
ont cherché par tous les moyens à limiter le nombre (et le financement) des
masters. Alors que le nombre d’étudiants augmente, que l’excellence des masters
est reconnue par tous et valorisée sur le marché du travail, cette stratégie
est intenable. On ne peut pas former
correctement plus d’étudiants dans les masters 2 existants, mais on peut
changer la politique du gouvernement et créer plus de master 2 si les
financements suivent. Il faudra des moyens considérables car la demande se
chiffre par centaines d’étudiants dans chaque université : potentiellement
plus de 400 pour mon université par exemple.
Il y
a une autre alternative politique, c’est d’instaurer la sélection à l’entrée du
master, en M1. C’est la logique économique, comptable, celle du processus de
Bologne, je ne suis pas certain que ce soit la meilleure. Nous continuons de
fonctionner sur la dualité entre système français, avec la maîtrise, et système
« européen » avec le master. C’est là l’origine de la sélection en
M2, les anciens DEA et DESS, et c’est bien ce que plusieurs magistrats ont
reproché aux universités. Que le gouvernement clarifie les choses et abandonne
les diplômes nationaux au profit des masters européens en instaurant la
sélection à l’entrée.
Enfin
il y a le plus probable, la démagogie du statu quo, qui obligera les
universités à faire la sélection par le diplôme de licence en ne délivrant la
licence qu’aux étudiants susceptibles de continuer en master ; certains présidents proposent déjà d'aller dans ce sens. Il y a l’autre
possible, l’hypocrisie d’une réforme qui laissera des « parcours » de master 2 sélectifs
complétés par d’autres non sélectifs ; des « parcours de secours » pour les recalés de la sélection. Tous
les étudiants seront donc inscrits dans le même « master » de « second
cycle » donnant le « grade » de master comme le souhaite Maître
Verdier et certains magistrats. C’est possible, c’est légal, c’est inattaquable
devant les tribunaux. Et comme les deux populations d’étudiants seront
susceptibles d’avoir le même master, pour ne pas dévaloriser le parcours
sélectif, le niveau d’exigence dans le « parcours de secours » sera
poussé à son maximum. Tous les étudiants seront inscrits, et tous échoueront.
Je
ne fais pas de la politique fiction, je vois se dessiner les stratégies des
établissements. Cela fait des années que les collègues ont appris à ne plus
compter sur l’État et sur le ministère de l’enseignement supérieur et de la
recherche pour défendre les universités et leur excellence scientifique. Ils
les défendront.
C'est encore plus affligeant que je ne l'imaginais ! Bravo, cher juriste !
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