mardi 29 septembre 2015

L’enseignement privé au secours de l'université?


Quel avenir pour l’enseignement supérieur? (2ème partie)

Depuis 30 ans les politiques ont repris l’équation posée par les pays anglo-saxons : comment augmenter le nombre de diplômés tout en réduisant le coût de l’enseignement supérieur pour l’État. En d’autres termes, comment augmenter la rentabilité du « business » de l’éducation supérieure, son « efficience » comme disait Patrick Hetzel du temps de Valérie Pécresse. La France a ajouté des variables pour augmenter la difficulté : il ne faut pas augmenter les droits d’inscription dans l’enseignement supérieur public, il ne faut pas de sélection, ni en L1, ni maintenant en master.

Or l’éducation est un secteur dont le modèle économique est assez contraint. L’étudiant est formé par des enseignants, plus d’étudiants c’est donc plus d’enseignants. Ces étudiants sont accueillis dans un espace spécifique, plus d’étudiants ce sont plus de m2 à construire. Il vaut mieux des cours en petits groupes que des cours magistraux en amphis, donc plus de réussite c’est encore plus d’enseignants, etc… A priori l’équation est insoluble : former plus d’étudiants suppose d’augmenter les coûts.

Transformer le métier d'enseignant

Pour résoudre l’équation, les politiques ont utilisé tous les leviers classiques. On peut réduire les coûts en jouant sur les statuts et les salaires, mais en réalité c’est déjà le cas. À l'université, dans certaines filières, les enseignants titulaires représentent à peine 30% des équipes pédagogiques, faute de créations de postes en nombre suffisant. Quant aux rémunérations, entre le chargé de cours payé 40€ de l’heure et le PR classe exceptionnelle « hors échelle E » à 191€ de l’heure, l’écart est déjà substantiel. Et je ne parle là que du secteur public…


On peut aussi faire travailler plus les enseignants sans les payer plus. C’était l’objectif de la modulation des services voulue par Valérie Pécresse et confirmée par Geneviève Fioraso (Décret 84-431 sur le statut des enseignants-chercheurs, art. 7 modifié en 2008, 2009 et 2014). En pratique elle s’est peu développée pour une raison simple: on a soudain découvert que les enseignants-chercheurs assuraient bénévolement de nombreuses tâches. Le référentiel était plus coûteux que le statu quo.

On peut encore mettre les enseignants en concurrence. C’est le cas dans certains segments de l’enseignement comme le Français pour Étrangers où des établissements privés parviennent à rémunérer les enseignants au SMIC en recrutant des diplômés sans qualification pédagogique particulière. Des cours au rabais où la qualité n’est pas toujours au rendez-vous mais suffisante pour l’usage minimum qui est attendu ; un « produit premier prix », « entrée de gamme » en quelque sorte...

Classe inversée, Moocs et autres « innovations pédagogiques »

« L’innovation pédagogique » surtout est devenue un moteur d’optimisation du business de l’enseignement supérieur. Il s’agit de changer le modèle de formation pour optimiser la production. Il y a eu la Formation tout au long de la vie qui permet d’étaler dans le temps la formation des citoyens tout en réduisant l’investissement initial de l’État puisque la reprise d’études sera financée à son coût réel par l’apprenant, une entreprise, les collectivités territoriales ou les trois.

On a vu également  apparaître, aux USA toujours, la « classe inversée » ou les « Moocs ». L’idée est la même : une auto-formation, l’enseignant intervenant une fois pour construire le support pédagogique puis ponctuellement pour contrôler l’acquisition des connaissances.

Le fait que ces dispositifs réduisent les coûts ne signifie pas qu’ils n’ont pas d’intérêt pédagogique. La « Classe inversée » peut être intéressante, mais elle reste coûteuse et, surtout, on peine à trouver une évaluation « neutre» de ses apports pédagogiques. Les Moocs sont a priori beaucoup plus économiques, mais, s’ils constituent une formidable vitrine du savoir faire des établissements de formation, leur efficacité sur la réussite, et donc l'obtention d'un diplôme, est très faible.

On peut développer le qualifiant en complément du diplômant. C’est la finalité du RNCP (Répertoire National des Certifications Professionnelles), stratégie de la confusion. Le fichier est un inventaire déclaratif parfois présenté à tort comme une certification. Les instituts les moins rigoureux jouent de cette confusion. Je me souviens d’une étudiante qui avait attaqué l’université il y a quelques années parce que, titulaire d’un « bachelor », elle avait été refusée en master RH. Le juge l’avait déboutée rappelant qu’elle pouvait seulement soumettre ce certificat à l’appréciation pédagogique d’un jury de VAE (Validation des Acquis de l’Expérience). Bref, son « bachelor » était un « bout de papier », un vague « certificat » non reconnu. La société commerciale qui avait multiplié les recours du même ordre contre les universités pour essayer de valoriser ses « certificats » s’est bien gardée de faire la publicité des décisions qui lui étaient défavorables et continue de jouer sur l’ambiguïté du répertoire RNCP.


Il y a la croissance à l’international qui a le double avantage d’une part d’augmenter le nombre de clients potentiels, d’autre part de permettre des recrutements d’enseignants « locaux » parfois moins bien rémunérés. Mais là aussi, la réussite a un prix. Faire réussir des étudiants étrangers oblige l’établissement à adapter son offre de formation, à faire des investissements coûteux et la mobilité des enseignants a aussi un coût plus élevé.

Privatiser l'université ou privatiser les formations d'excellence ?

Toutes ces actions ne changent pas fondamentalement le problème et ne génèrent que des économies marginales. Alors comment faire ?

Valérie Pécresse a mis l'université au centre de sa réforme de l'enseignement supérieur avec la volonté de la gérer comme une entreprise, voire de la privatiser. C’est un échec. L’université a sombré dans une crise financière dont elle ne parvient pas à se relever. Autonomes, les universités ne le sont que sur le papier. Toutes les décisions qui impactent leur fonctionnement sont prises par l’État, qu’il s’agisse de la masse salariale (on rappellera ici les revalorisations octroyées à certains agents par Valérie Pécresse mais financées par le budget des universités), de l’offre de formation avec la licence à 1500 h. ou de l'augmentation du nombre de boursiers dispensés de droits.

Si Najat Valaud Belkacem poursuit le même objectif que Valérie Pécresse la stratégie retenue est bien plus subtile, plus insidieuse aussi. La ministre contourne la difficulté. Au lieu de privatiser les universités, elle promeut les établissements privés d'enseignement supérieur. L'idée, reprise par la STRANES, est de s'appuyer sur les COMUES qui regroupent sur un territoire donné l'ensemble des acteurs de l'enseignement supérieur (rapport, p. 130). Ces COMUES ont le même statut juridique que les universités, ce sont des EPSCP, elles peuvent délivrer des diplômes et les établissements privés peuvent, par ce biais, participer à la délivrance de diplômes d'État.

Le rapport de l'IGAENR sur l'enseignement privé va plus loin dans cette logique d'hybridation public/privé, en proposant d'utiliser le nouveau statut d'école privée participant à des missions de service public (les EESPIG) pour co-accréditer des licences et des masters. Comme le note l'IGAENR, de cette façon « il n'y aurait pas d'atteinte directe au privilège de la collation des grades »...


Reste une difficulté: convaincre les universités de renoncer à leurs derniers atours pour les confier à des établissements privés. Les IDEX, étaient la première forme d'incitation et on a vu, par exemple, HEC rejoindre l'IDEX Saclay ou, plus récemment, SKEMA postuler avec la COMUE Université Côte d'Azur pour l'IDEX3. Mais les IDEX ne concernent que certains sites, les diplômes portés par les COMUES sont rares et le dispositif ne peut enclencher une dynamique globale.

C'est là que la stratégie de Najat Vallaud Belkacem renonçant à toute excellence à l'université et à toute forme de sélection sur les masters 2, devient redoutable. Ce que les universités ne pourront plus faire, les établissements privés peuvent le faire. Aujourd'hui « l'université » Paris Dauphine fait des contorsions pour déplafonner ses droits d'inscription en « Licence » ou en « master ». Demain, en passant par les COMUES, les universités conventionneront avec des établissements privés pour conserver des « masters » sélectifs dont les tarifs seront, en outre, déplafonnés. En psychologie du travail, en Droit, en géographie ou en aménagement, en LEA, le potentiel d'hybridation des masters professionnalisants est considérable. Les établissements privés vont ainsi devenir la planche de salut pour des universités interdites d’excellence.

Au risque de surprendre certains de mes lecteurs, je ne suis pas hostile à l’enseignement privé ; bien au contraire. D’abord il faut se rappeler que le « privé » ce sont surtout… des associations loi de 1901 sans but lucratif. Les éventuels « bénéfices » sont donc réinvestis dans l’enseignement. Ensuite le « privé » a développé un savoir faire complémentaire de celui du public. La question que pose la stratégie de Najat Vallaud Belkacem est celle de la généralisation de ce modèle et de l’opacité de sa mise en place et... de son efficience.

À suivre...

3 commentaires:

  1. Les points de vue varient en fonction des positions qu’on occupe. Se rappeler que le « privé » ce sont surtout… des écoles de commerce certes avec une base juridique dont le but est non-lucratif mais qui sont peuplées d’une myriade de petites entreprises que sont les « professors » qui profitent du « School business » engendrant toutes les dérives qui vont avec tels que le carriérisme, le goût de l’argent et des voyages, l’infatuation narcissique, la publication d’articles comprenant de fausses données, la récupération du travail des étudiants à des fins de publications et parfois le gringue aux étudiantes à des fins de fornication. L’argent des étudiants-clients est d’abord versé aux enseignants-chercheurs sous contrat privé et ensuite destiné à reproduire l’outil de production des écoles de commerce qui se focalisent principalement sur le développement de « l’expérience-client », ce qui a l’avantage de maintenir à un niveau acceptable les critiques des étudiants eux-mêmes, nombreuses mais inaudibles, et de jeter un voile sur le racket généralisé d’une jeunesse incitée à rentrer dans le rang, déjà endettée et sans cesse soumise au chantage à l’emploi. Quant aux enseignements dispensés, il y a à boire et à manger. Nombre d’entre eux, s’ils ne sont pas creux et ludiques soutenus par l’excitation visuelle d’un diaporama, sont principalement dogmatiques (voir notamment Goshal S., 2005 in Academy of Management Learning & Education, vol.4), ce qui n’a rien d’étonnant quand on connaît le niveau général d’inculture des docteurs en sciences de gestion. Le tableau présenté est assez noir et acerbe, sans doute partisan, mais il est une réponse proportionnée à l'incroyable violence que peuvent exercer les logiques qui animent ces établissements sous les promesses de leurs discours publicitaires. Ce n’est qu’un point de vue limité, habitué à être moqué ou disqualifié par ces « entreprises privées » qui clament leur dévotion à l’éducation des jeunes, mais il n’est pas sans lien avec une certaine réalité habilement masquée par ceux qui trouvent beaucoup d’intérêts à développer le « privé ». (ce commentaire ne se veut pas une attaque ironique contre l’auteur de cet article).

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    1. Bonjour cher anonyme,
      vous l'aurez compris, je ne partage pas votre point de vue.
      D'abord l'enseignement privé ne peut se résumer aux écoles de commerce. Vous oubliez toutes les écoles du secteur social ou médico-social, les écoles professionnelles, etc... Or, regardez le rapport STRANES, c'est souvent là que l'on rencontre des difficultés.
      Ensuite, je pense qu'il faut éviter la caricature, celle de l'université, dont je défends les valeurs, comme celle de l'enseignement "privé". J'ai un profond respect pour le service public de l'enseignement supérieur, mais je reconnais aussi les qualités, par exemple, des écoles privées membres de la Conférence des Grandes Écoles. Ce sont deux modèles qui ont chacun leur intérêt et qui sont, de mon point de vue, complémentaires.

      Qu'il y ait, par ailleurs, des "écoles" privées peu scrupuleuses, jouant sur les ambiguïtés du registre RNCP c'est un autre problème. Les premières victimes sont les étudiants, mais les autres écoles sont aussi la victime de ces agissements. J'estime qu'il est de la responsabilité de l'État et du ministère de l'enseignement supérieur d'exercer un contrôle et de sanctionner les établissements de ce type. Mais je reproche assez au ministère de tout mélanger pour me garder de faire les mêmes amalgames.
      Yann Bisiou

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  2. Merci pour votre réponse et d’accord avec vous sur le rôle de l’État. Mon commentaire ne porte pas sur l’ensemble de l’article par ailleurs très intéressant mais il souhaitait seulement développer à partir de deux phrases de la conclusion. Il entendait faire remarquer que, dans un secteur privé certes diversifié et qui a ses qualités, les écoles de commerce/management et le modèle économique qu’elles véhiculent sont la figure de proue des réformes néo-libérales de l’enseignement supérieur, autrement dit du développement accru d’un secteur « privé » de plus en plus enclin à faire chèrement payer ses services et qui ne serait pas si gênant s’il n’était pas lié à une destruction méthodique du secteur public. Ce faisant, je souhaitais simplement faire remarquer où peuvent aller les « bénéfices » versés à « l’enseignement » dans ce type d’établissement. On peut penser ce point de vue critique radical comme étant porteur d’une mauvaise caricature sur les deux secteurs, l’un public qui serait vertueux et l’autre privé plus vénal. Mais ce commentaire entendait seulement dénoncer certains agissements dissimulés sous les discours marketing que de nombreuses écoles de commerce propagent en amont et durant la formation de leurs clients et plus généralement auprès d’une jeunesse qui doit avant tout payer pour assurer son employabilité avant d’étudier pour son propre développement personnel. On peut rétorquer que ces deux derniers points ne sont peut-être pas incompatibles mais une telle proposition ne justifie pas les abus idéologiques et économiques dont font preuve beaucoup de ces établissements privés, notamment du point de vue des étudiants, eux qui n’ont d’autres choix que de s’acculturer à tout prix à l’esprit managérial et libéral professé ou bien de faire en sorte d’éviter de s’endetter en essayant de trouver leur place dans un monde universitaire public qui souffre sous les coups de boutoir des réformateurs libéraux et autres chantres du « privé » aussi bien dans nos ministères qu’à Bruxelles.

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