« Désaffection de l’enseignement supérieur public », « augmentation très forte des effectifs dans le privé »… le débat reprend autour des relations public/privé dans l’enseignement supérieur. Certains exhument les statistiques sur les effectifs étudiants (pourtant publiées il y a bientôt 1 an) qui montrent une forte progression des effectifs dans l’enseignement supérieur privé. Ils l’opposent ensuite à une progression beaucoup plus faible dans l’enseignement supérieur public pour en tirer une conclusion : il y aurait une désaffection pour l’enseignement supérieur public. Autant le dire d’emblée : rien ne vient étayer cette affirmation.
Des statistiques à manier avec précaution
Il faut d’abord être très prudent sur les enseignements que l’on tire de ces statistiques. Les séries ne sont pas homogènes. Pour une année donnée, les chiffres varient selon l’édition. Les éditions 2006 et 2007 annoncent, par exemple, 1.424.536 étudiants inscrits à l’université en 2004-2005 quand l’édition 2013 en annonce 1.428.223. Certes la différence est faible (+0,26%), mais elle correspond aux évolutions constatées d’une année sur l’autre (-0,2% par rapport à l’année précédente, +0,2% l’année suivante) ce qui rend les comparaisons peu significatives.
Les rubriques elles-mêmes changent. L’édition 2007 signale ainsi, p. 172, que le champ du «supérieur » a été modifié et intègre des formations, notamment les « mastères » des écoles d’ingénieurs, et des formations du secteur « privé », qui n’étaient pas comptabilisées auparavant. Dans ce cas précis l’effet est une augmentation statistique des inscrits dans le « privé ».
Il faut également se méfier de la nature exacte des rubriques mesurées. Ainsi, le « Taux d’inscription des nouveaux bacheliers dans l’enseignement supérieur » (§6.18) ne mesure pas le nombre de bacheliers mais le nombre d’inscriptions, un bachelier pouvant s’inscrire plusieurs fois. Les regroupements de parcours dans les licences ou les masters peuvent donc réduire le nombre d’inscriptions sans que le nombre de bacheliers diminue dans le Supérieur. A l’inverse les conventions universités/CPGE vont augmenter le nombre d’inscriptions sans que le nombre de bacheliers évolue. On ne pourra pas mesurer à partir de ces données une quelconque évolution des effectifs dans le supérieur public.
Enfin, ces données très globales ne rendent pas compte des évolutions considérables au sein des catégories « public » et « privé » sous l’effet des changements réglementaires, disciplinaires ou professionnels. Dans le « public », par exemple, les effectifs des IUT augmentent de 80% entre l’année 1970-1971 et l’année 2001-2002 avant de baisser de façon régulière depuis cette date (-8%). La réforme « Darcos » des IUFM et la perte d’attractivité des métiers de l’enseignement ont également un impact très important sur les effectifs du « public » : entre 2001-2002 et aujourd’hui, ce sont près de 6% des effectifs du public qui disparaissent de ce fait.
Il en est de même dans le « privé ». Les effectifs des écoles de commerce ont cru de 37% en près de 10 ans, mais cette évolution masque une augmentation beaucoup plus forte dans les Grandes Écoles (+47%) et une baisse prononcée dans les écoles qui ne sont pas reconnues par l’État et dont les diplômes ne sont pas visés par l’État (-29%).
La convergence « public » / « privé »
Est-ce à dire que l’on ne peut tirer aucune conclusion de ces données ? Non, deux enseignements ressortent. Le premier, c’est la convergence des deux secteurs « public » et « privé » sur le même objectif : trouver une solution à la crise financière qui secoue le supérieur. Et fort logiquement comme leurs statuts diffèrent, les solutions retenues sont diamétralement opposées.
Depuis la loi sur l’autonomie, et en dépit des artifices utilisés par les gouvernements successifs, le financement des formations supérieures publiques baisse. C’était d’ailleurs l’objectif de la loi de LRU et, surtout, du modèle SYMPA : ne plus raisonner par rapport aux besoins théoriques comme dans le modèle SAN REMO, mais par rapport aux moyens effectivement disponibles, le modèle SYMPA. Depuis 2010 la situation est pire encore puisque le modèle SYMPA est « gelé » et que les dotations sont dans l’ensemble reconduites sans que l’évolution des effectifs soit réellement prise en compte.
Confrontées à une baisse de leurs moyens et parce que les financements ne dépendent plus, de fait, du nombre d’étudiants, les universités ont tendance à réduire l’accès aux formations. L’exemple d’actualité des capacités d’accueil le montre : l’université n’accueille plus tous les étudiants qui voudraient la rejoindre.
Les établissements privés se heurtent à la même difficulté. Ils ne disposent pas d’une dotation pour charge de service public, mais leurs subventions, qu’elles proviennent des CCI ou des collectivités territoriales, tendent à diminuer. Pour y faire face les Écoles privées recherchent donc dans une augmentation des effectifs (et des droits de scolarité), les moyens nécessaires à leur développement.
Finalement, ces statistiques montrent que pour répondre à la même nécessité de compenser la baisse des financements publics, les stratégies sont en toute logique opposées : le « public » diminue les effectifs et le « privé » les augmente.
Mais ces statistiques soulignent également un second point de convergence entre les établissements publics et privés. Cette convergence n’a rien à voir avec une éventuelle désaffection d’un secteur au profit de l’autre : il n’y a pas d’effet de vases communicants entre « public » et « privé » car les effectifs augmentent dans les deux secteurs.
Le vrai enjeu entre le « public » et le « privé », sur lequel je rejoindrai d'autres blogueurs, ce n'est pas le rythme plus ou moins rapide de la croissance des effectifs dans les deux secteurs, c'est la concurrence qui existe, aujourd'hui plus qu'hier, entre le « public » et le « privé » et, à l’intérieur de chacun de ces secteurs entre les disciplines (santé/sciences, économie/gestion, agronomie/environnement) et les établissements (labellisés ou non) pour attirer les meilleurs étudiants dans leurs formations.
Le vrai enjeu entre le « public » et le « privé », sur lequel je rejoindrai d'autres blogueurs, ce n'est pas le rythme plus ou moins rapide de la croissance des effectifs dans les deux secteurs, c'est la concurrence qui existe, aujourd'hui plus qu'hier, entre le « public » et le « privé » et, à l’intérieur de chacun de ces secteurs entre les disciplines (santé/sciences, économie/gestion, agronomie/environnement) et les établissements (labellisés ou non) pour attirer les meilleurs étudiants dans leurs formations.
Excellent article comme d'habitude ! Merci
RépondreSupprimerY ajouter un couplet sur la statistique publique qui est bien mal en point