Les COMUES entre la fourche et la
fourchette ?
Le
droit d’amendement est consacré par la Constitution, article 39 et 44, mais le
conseil constitutionnel pose une limite à ce droit : l’interdiction des
« cavaliers ». Un « cavalier », législatif en l’espèce,
est un amendement, déposé par le gouvernement ou le parlement, qui n’a pas de rapport
avec le texte en discussion. Pour qu’un amendement soit valable, précise le
conseil, il ne doit pas « être
dépourvu de tout lien avec l’objet du texte déposé sur le bureau de la première
assemblée saisie ».
Certes
le projet de loi portant « avenir
pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt » est vaste et
ambitionne, selon le bon mot dont M. Le Foll semble très fier, de construire
une politique « de la fourche à la
fourchette » (exposé des motifs, p. 3). Difficile néanmoins, de trouver une place aux règles
électorales des COMUEs ou à la correction des grosses erreurs de la loi Fioraso
entre la fourche et la fourchette…
Le
gouvernement a bien compris le risque d’inconstitutionnalité et il a cherché la
parade. Selon le ministre de l’agriculture « Le présent projet de loi sur l’agriculture est le premier qui traite à
nouveau d’enseignement et de recherche » (Ass. Nat. 3èmeséance du 10 janvier 2014 Après l’article 27 ). C’est un peu court, mais il y aurait
donc un lien, certes ténu, entre l’agriculture, la forêt, l’alimentation et les COMUEs. Je vous laisse imaginer.
Un artifice du gouvernement
Cette
affirmation est un pur artifice. Il y a bien dans ce projet de loi des
dispositions sur l’enseignement, mais elles concernent le code rural dans ses dispositions sur l’enseignement technique agricole, l'enseignement supérieur et la recherche agricoles ce qui n’a strictement rien à voir avec
l’enseignement supérieur et la recherche organisés par le code de l'éducation. On
remarquera d’ailleurs que le projet de loi ne modifie pas le code de
l’éducation, à l’exception de l’article litigieux sur les COMUEs. Il modifie,
en revanche, le code rural pour le mettre en conformité avec la LRU2 de Mme
Fioraso.
Non
seulement il n’y a pas de lien entre l’enseignement supérieur et le projet de
loi sur l’agriculture, mais toutes les
dispositions du projet de loi ont pour but d’autonomiser l’enseignement
agricole et la recherche en agriculture par rapport à l’éducation nationale et
à l’enseignement supérieur !
Ainsi
le ministre déclare que l’avenir de l’agriculture « passe par son intégration toujours plus grande dans le système
éducatif français, dans sa participation au projet de refondation de l’École
de la république voulue par le Président de la République, mais aussi et surtout par le renforcement
de ses particularités qui en font un enseignement dont la réussite est
reconnue par tous » (exposé des motifs, p. 26-27). En clair : l’enseignement technique agricole
doit rester autonome ! Et nous parlons ici des lycées, pas des universités
et de l’enseignement supérieur.
Lorsque
le texte aborde l’enseignement supérieur c’est pour permettre à l’IAMM, par une
modification du code rural, de délivrer des diplômes nationaux (licences, licences pro ou masters) tout seul en se passant de la cohabilitation
qui existait avec mon université. Il est vrai que nous avions émis des réserves
sur ces formations ; cela n’a pas plu et les lobbies agricoles sont
puissants.
Un projet de loi destiné à éviter les
COMUEs
Plus
clairement encore, le projet de loi crée dans le code rural, toujours, un Institut agronomique et vétérinaire de France
(IAVF) qui remplace l’actuel Agreenium.
Et le rapporteur de la commission économique sur le projet de loi explique que cette création est destinée à éviter d’appliquer
le code de l’éducation sur les COMUEs (rapport n°1639 de M. Germinal Peiro)! Après, Geneviève Fioraso et
Vincent Berger vont parler du « mikado » ou du « mille-feuilles institutionnel » ? Faites ce que je dis, pas ce que je fais…
Dans
ce rapport de la commission économique il est d’abord écrit que « l’option
des communautés d’universités et d’établissements ne semble pas adaptée au cas
particulier d’Agreenium ». Le rapport continue, ensuite, à propos
de la gouvernance de cet Institut : « l’IAVF ne sera pas une école mais une structure destinée à mettre en
place des synergies entre écoles. Son
statut doit donc être plus proche de celui des établissements publics de
coopération scientifique, supprimés par la loi du 22 juillet 2013 relative à
l’enseignement supérieur et à la recherche, que de celui des communautés
d’universités et d’établissements. C’est pourquoi le projet de loi prévoit
la nomination du directeur de l’établissement par décret et la présence au
conseil d’administration de représentants des organismes et établissements qui
sont membres. Les représentants des différentes catégories de personnels ne
sont pas pour autant exclus de la gouvernance : l’alinéa 21 prévoit leur
représentation au conseil d’administration en respectant un plancher de 20 % ».
On rappellera, au passage, que dans les COMUEs, les élus représentent au
minimum 50% des membres du CA et qu’ils participent à la désignation du
président. Manifestement on est moins soucieux de démocratie participative au
ministère de l’agriculture.
La commission des affaires culturelles et de l'éducation qui a décidé de se saisir pour avis des articles 26 et 27 du projet de loi (mais pas de l'amendement sur les COMUEs) au motif qu'ils concernaient « l'enseignement technique et supérieur agricole et la recherche agronomique » (avis n°1614, p. 5) ne dit pas autre chose puisque M. Le Roch compare l'organisation de l'Institut à celle des COMUEs pour souligner que la gouvernance de l'Institut « sera simple », elle... (ibid. p. 81-82).
Le projet de loi de M. Le Foll est tellement étranger à l'enseignement supérieur et à la recherche qu'il se dispense d'un autre principe constitutionnel fondamental de l'enseignement supérieur : la représentation propre et autonome des professeurs d'université. M. Le Roch, dans l'avis de la commission des affaires culturelles et de l'éducation précise en effet : « On observera que la représentation des professeurs d'université n'a pas été distinguée de la représentation de l'ensemble des personnels comme l'exige, pour le conseil d'administration des universités, la jurisprudence constitutionnelle dans la mesure où l'Institut ne constitue pas un établissement d'enseignement supérieur ».
La commission des affaires culturelles et de l'éducation qui a décidé de se saisir pour avis des articles 26 et 27 du projet de loi (mais pas de l'amendement sur les COMUEs) au motif qu'ils concernaient « l'enseignement technique et supérieur agricole et la recherche agronomique » (avis n°1614, p. 5) ne dit pas autre chose puisque M. Le Roch compare l'organisation de l'Institut à celle des COMUEs pour souligner que la gouvernance de l'Institut « sera simple », elle... (ibid. p. 81-82).
Le projet de loi de M. Le Foll est tellement étranger à l'enseignement supérieur et à la recherche qu'il se dispense d'un autre principe constitutionnel fondamental de l'enseignement supérieur : la représentation propre et autonome des professeurs d'université. M. Le Roch, dans l'avis de la commission des affaires culturelles et de l'éducation précise en effet : « On observera que la représentation des professeurs d'université n'a pas été distinguée de la représentation de l'ensemble des personnels comme l'exige, pour le conseil d'administration des universités, la jurisprudence constitutionnelle dans la mesure où l'Institut ne constitue pas un établissement d'enseignement supérieur ».
Voici
donc un gouvernement qui dépose un projet de loi qui ne concerne que l'enseignement technique et supérieur et la recherche agricoles et dont toutes les dispositions
sont destinées à contourner, dans le code rural, le code de
l’éducation modifié par la loi Fioraso, un projet de loi qui dénigre les COMUEs et cherche à faire échapper l'enseignement et la recherche agricoles aux COMUEs, un projet de loi qui écarte les dispositions constitutionnelles sur la représentation des professeurs des universités et le
même gouvernement qui dépose ensuite un amendement modifiant les COMUEs dans le code de l'éducation en
expliquant que les deux sont liés !
Le
conseil constitutionnel a censuré bien des cavaliers et pour moins que ça par
le passé. Je ne reprendrais pas ici cette jurisprudence, mais elle a été très
bien expliquée par le conseil lui-même… et par le Sénat.
Une
épée de Damoclès au-dessus des COMUEs dérogatoires
Mais
il ne suffit pas que l’amendement sur les COMUEs soit inconstitutionnel, il
faut que ce vice soit constaté. Certes, le Parlement pourrait déposer un
nouvel amendement … pour supprimer l’amendement COMUE afin d'assurer le respect de la
Constitution. C’est possible, même après un accord en commission mixte
paritaire. C’est même une des rares exceptions à la règle dite « de l’entonnoir ». Mais on peut
légitimement douter que le président de l’Assemblée, voire le gouvernement,
soient soudain pris de remords. Nous l’avons dit, pour ce gouvernement bien
souvent, devant les lobbies la fin justifie les moyens. On peut aussi douter qu’il se trouve 60
parlementaires pour saisir le conseil constitutionnel. Manifestement la très
grande majorité des parlementaires n’a rien compris à cet amendement d’autant
que les arguments présentés par le ministre pour le défendre étaient fallacieux. En revanche il est plus que probable qu’il se trouve 60
parlementaires pour saisir le conseil constitutionnel sur d’autres aspects du
projet de loi. Or, dans ce cas, le conseil peut se saisir d’office des
cavaliers. Il l’a déjà fait en 2006. Et quand bien même l’amendement
inconstitutionnel serait voté et promulgué, il serait encore possible de
remonter une « question prioritaire de constitutionnalité »...
On le voit, la farce des COMUEs n’est pas prête de s’achever et le débat de continuer.
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