Tout à son ardeur
réformatrice, le ministère a décidé d’appliquer immédiatement certaines
dispositions de la LRU2 et d’échelonner dans le temps d’autres dispositions. Il
en résulte un régime transitoire des plus complexes qui va contraindre les
établissements à faire coexister des règles issues de la LRU1 et des règles
issues de la LRU2. En plus, ce régime transitoire a été particulièrement mal
conçu donnant lieu à des situations juridiques cocasses.
Je continue donc cette
série de chroniques que je dédie aux plus belles âneries de la loi Fioraso
avec, aujourd’hui, la situation pour le moins absurde dans laquelle se trouvent
l’AERES et le nouveau « Haut Conseil
de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur »
(HCERES).
Après avoir acquis le
surnom de « plus grande agence de
voyage d’Europe » auprès d’un grand nombre de chercheurs et
d’enseignants-chercheurs, l’AERES semble en passe de devenir le vaisseau
fantôme de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Inutile de revenir sur
tous les défauts de cette agence puisque la loi Fioraso la fait disparaître du
paysage scientifique. Mais comme l’idéologie de la LRU2 est la même que celle
de la LRU1, si Mme Fioraso supprime l’AERES… c’est pour mieux la recréer
immédiatement sous la forme d’un « Haut
Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur ».
Et c’est là que les choses se compliquent.
L’AERES, avait été créée
par la loi n°2006-450 du 18 avril 2006, modifiée par la loi 2008-595 du 25 juin
2008 sous la forme d’une Autorité administrative indépendante.
Un décret n°2006-1334 du 3
novembre 2006 organisait le fonctionnement de cette institution en prévoyant sa composition, la procédure de
désignation de ses membres, etc.
À l’époque, l’AERES
remplaçait diverses instances dont le Comité national d’évaluation des
universités (CNE) et le comité national d’évaluation de la recherche. Le
gouvernement avait pris la précaution d’indiquer (art. 49 de la loi du 3
novembre 2006) que la loi ne s’appliquait qu’à compter de « la date d'installation du conseil de
l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur mentionnée
à l'article L. 114-3-1 du code de la recherche, et au plus tard le 31 décembre
2006 ». Le décret complétant ce régime transitoire précisait même
(art. 16) : « Les travaux
engagés par le Comité national d'évaluation des établissements publics à
caractère scientifique, culturel et professionnel, par le Comité national
d'évaluation de la recherche et par les différentes instances d'évaluation des
unités de recherche au moment de l'installation de l'agence sont menés à leur
terme et soumis à la validation de l'agence ».
Le régime transitoire
était donc simple : les anciennes structures d’évaluation continuaient à
exercer l’ensemble de leurs prérogatives tant que l’AERES n’était pas
installée. La précaution s’avéra utile puisque l’AERES ne
fonctionna effectivement qu’au mois de mars 2007. La continuité du processus d’évaluation était assurée par le législateur et le gouvernement.
Rien de tel avec la
LRU2 !
La loi Fioraso supprime
immédiatement l’AERES du code de la recherche pour la remplacer par le HCERES
(article L.114-3-1 nouveau du code de la recherche). Contrairement à ce qui
avait été prévu en 2006, aucun délai n’est donné pour permettre cette
transition ; pour une fois le changement c’est ici et
maintenant ! Tous les pouvoirs de l’AERES en matière d’évaluation
appartiennent désormais au HCERES… qui n’existe pas encore et qui n’a aucun
moyen parce que le même gouvernement a, par contre, prévu que « les biens, droits et obligations, y compris
les contrats des personnels de l’AERES » n’étaient transférés au Haut
conseil qu’après l’entrée en vigueur du décret qui l’organisera (article 89 de
la LRU2) !
À moins qu’une fois encore
la concertation sur le fonctionnement du HCERES ne soit qu’un habillage de
communicant, ce décret n’est pas près de voir le jour puisque Mme Fioraso vient
seulement de confier une « mission
de réflexion » à deux proches pour définir l’évaluation scientifique
et l’organisation de ce Haut Conseil…
Nous avons donc d’un côté
une Autorité administrative indépendante qui existe toujours, organisée par un
décret toujours en vigueur et qui dispose de tous les moyens humains et
financiers, mais à qui la loi retire toute mission d’évaluation et, de l’autre
côté, une nouvelle Autorité administrative indépendante à laquelle le gouvernement réfléchit encore, qui possède tous les
pouvoirs d’évaluation, mais qui reste virtuelle puisqu’aucun décret
d’application ne vient l’organiser et qui ne dispose d’aucun moyen humain ou
financier puisque « les biens,
droits et obligations, y compris les contrats des personnels » de
l’AERES ne seront transférés au HCERES qu’après la publication dudit décret …
Et pour couronner le tout,
si la loi modifie le code de la recherche elle oublie de modifier le code de
l’éducation. Dans le code de la recherche, l’instance d’évaluation des universités est déjà le
HCERES tandis que, dans le code de l’éducation (art. L242-1), c’est toujours
l’AERES qui est chargée d’évaluer les universités !
J’ai pensé un instant que cet oubli était une manœuvre subtile, presque manichéenne, destinée à faire survivre l’AERES pour l’évaluation des universités tout en engrangeant le gain politique de l’annonce de sa suppression. Mais rien de tout cela. Si le code de l’éducation confie toujours à l’AERES l’évaluation des universités c’est en renvoyant au code de la recherche… qui l’a supprimée. Il n’y a donc plus à l’heure actuelle aucune instance d’évaluation pour l’enseignement supérieur en France.
Après le droit de véto
du président c’est donc sur l’évaluation des universités que deux autorités
se disputent le même pouvoir : l’AERES et le HCERES. Cette nouvelle malfaçon de la LRU2 est emblématique du peu d’intérêt que ce
gouvernement manifeste pour les universités et l’enseignement supérieur. Quant
il s’agit de la recherche, le cabinet de Mme Fioraso est plein d’attention,
mais quand il s’agit des universités…
Quelle est la conséquence
de cette succession d’erreurs ? Plusieurs universités, dont la mienne,
doivent être évaluées dans les semaines qui viennent. Par qui ? l’AERES
sans pouvoir ou le HCERES virtuel ? Et d’un point de vue financier,
l’AERES dispose d’un budget substantiel pour accomplir ses missions. Va-t-elle
pouvoir continuer à engager des crédits alors qu’elle n’a plus de
mission ? Voici un paragraphe tout trouvé pour le futur rapport annuel de
la Cour des comptes. J’aurais préféré que ces crédits aillent aux universités
pour compenser les charges que les gouvernements ont transférées sans les moyens correspondants lors du
passage à « l’autonomie ».
Et quand je me souviens de
toute l’énergie que le cabinet de la ministre a déployé pour contrôler tous les organes de
décision ou, à défaut, pour les circonvenir et imposer cette loi, et quand je
vois le résultat, je ne peux m’empêcher de penser aux pieds nickelés. Je pense
aussi aux collègues du ministère qui découvrent avec nous les textes qu’ils
vont devoir nous expliquer et je les plains car les problèmes se succèdent !
Après le droit de véto, les procédures d’évaluation ou la PES, c’est le
fonctionnement du conseil académique ou le recrutement des
enseignants-chercheurs qui s’avèrent tout aussi problématiques.
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