dimanche 26 novembre 2017

Pré-requis: crise de l’université ou crise du BAC ?

MAJ 30 nov. : en LLASHS les "attendus" virent à la caricature.

Exemples des pré-requis proposés par la CDUL (conférence des doyens): "bon niveau d'expression de langue française", "bon niveau dans une langue étrangère", "intérêts liés à la mention choisie... (goût pour la littérature)", "curiosité intellectuelle", "notes satisfaisantes dans au moins 2 des 3 disciplines suivantes: français, philosophie, histoire-géographie".

Les "éléments issus du conseil de classe" sont mentionnés ; comme dernier critère d'appréciation.


Vitesse ET précipitation. La réforme de l’accès à la licence avance à marche forcée et on voit venir l’accident industriel doublé d’un crash juridique mémorable. À chaque étape il faut manier l’étoupe et le goudron pour colmater les brèches dans la coque. Et en pleine mer, le résultat n’est pas garanti.

Pendant que le texte arrive à l’Assemblée Nationale, les collègues travaillent sur les « attendus » (ex « pré-requis »). Les premières propositions présentées par Educpros illustrent le défaut structurel de cette réforme. La sélection est une mauvaise réponse à deux réels problèmes de l’université : l’échec des bacs pro et l’insuffisance des moyens humains et financiers. Nous ferons ici trois constats.


Le premier, c’est l’extrême inégalité disciplinaire. À ma connaissance, le gouvernement n’a pas fait appel à une instance nationale comme le CNU pour définir les « attendus ». Il s’appuie, notamment, sur le réseau très actif des VP-CEVU et les différentes « conférences » de "doyens" qui trouvent ici une nouvelle légitimité. Avantage de la méthode, on échappe aux comités d’experts professionnels qui ont passé leur carrière à éviter d’enseigner en licence. Dans certaines disciplines on a enfin des collègues compétents et impliqués. Que l’on approuve ou pas leurs propositions, il faut reconnaître aux Clavel, Dardel ou Delignières un vrai investissement sur ces questions. Inconvénient, le résultat dépend de l’implication particulière de ces collègues et du dynamisme structurel de chaque discipline. Il est clair que toutes n’en sont pas au même niveau de réflexion.

Deuxième constat, la coupure entre le lycée et l’université n’est pas prête de se résorber. Alors que la ministre insiste sur le « contrat d’avenir » que les 2 professeurs principaux vont devoir rédiger, pas un des « attendus » ne le mentionne. Manifestement l’évaluation faite par le lycée n’intéresse pas plus que ça les universitaires qui posent leurs propres critères et feront leurs propres évaluations. Il faut reconnaître que le "contrat d'avenir" suppose une évaluation individuelle de chaque candidature que les universités auront bien du mal à gérer.

Troisième constat, les collègues cherchent à éviter les dispositifs simplistes, les « concours » et les « classements » fondés exclusivement sur les notes. Mais l’exercice montre très vite l’absurdité de la réforme. Quand les critères sont l’expression écrite ou orale, le niveau en math ou en EPS, ce que l’on évalue c’est ce que le bac est censé évaluer 2 mois après ! C’est juste plus compliqué à faire et si nous en sommes là, ce n’est pas sur la crise de l’université qu’il faut disserter, mais sur la crise des bacs.

Globalement l’idée est d’évaluer à la fois le niveau académique et la motivation des candidats. Deux pistes sont privilégiées : le dossier ou le test. Le test a l’air de tenter les juristes et les politistes, mais il pose plusieurs problèmes. Il faut s’assurer que c’est bien l’étudiant qui compose et on voit mal comment organiser un test dématérialisé à grande échelle dans les 3 mois. Il faudrait donc l’organiser dans chaque faculté au printemps en raison des contraintes de calendrier de « ParcoursSup ». Combien de candidats ? De quelles académies ? Certes les élèves qui présentent les concours de SciencesPo ont l’habitude, mais bon, ce sont les élèves qui présentent les concours de SciencesPo.

Le dossier est plus simple à concevoir, mais au printemps il y a peu à évaluer. Les propositions déjà formulées invitent donc à tenir compte des notes du bac français. C’est une évidence, mais dans ce cas les bacs pro sont disqualifiés puisqu’ils n’ont pas d’épreuve anticipée de français en première. Et de nouveau la réalité de la réforme apparaît sans fard : le problème de l’échec à l’université c’est d’abord le problème de qualification des bacs pro. On peut certes envisager un régime dérogatoire, mais s’il s’agit de traiter ces bacs de façon différenciée quel est l’intérêt de la réforme et d’une sélection pour la totalité des étudiants ? Pourquoi ne pas mettre en place un dispositif d’accompagnement à la sortie du bac pro avec remise à niveau dans les matières fondamentales pour les diplômés qui souhaitent poursuivre à l’université ? Bien entendu, pour les néo-libéraux c’est moins idéologique que la sélection à l’université. Mais la solution est plus positive, elle répond à un vrai besoin et elle est moins lourde à mettre en place. On peut même avoir plus d’ambition : si aujourd’hui le bac pro n’offre plus l’insertion professionnelle qu’il devait offrir, il faut peut-être revoir la formation et réintroduire les matières qui permettent une poursuite d’étude… bref au lieu d’instaurer la sélection et de s’occuper d’une crise de l’université pour des raisons idéologiques, s’occuper de la crise du bac pro et permettre la réussite des élèves.

D’autres difficultés surviennent lorsqu’il s’agit d’évaluer la motivation des étudiants. En STAPS où la réflexion est la plus avancée, plusieurs critères sont évoqués. Ils ont suscité de vives réactions de la part de collègues avec qui j’ai pu échanger. Le BAFA, la possession d’une licence sportive et plus généralement une structuration du dossier par « bloc de compétences » ont été proposés à la ministre. Les collègues soulignent d’abord le coût, non négligeable, de ces licences sportives ou du BAFA. Ils insistent surtout, au-delà de la volonté louable de ne pas se limiter au parcours scolaire du candidat, sur les contradictions de ces critères. Plusieurs m’ont dit à quel point ils trouvent incohérent de raisonner par « bloc de compétences » ou d’évoquer les licences sportives alors que dans les enseignements de STAPS on expliquera aux étudiants l’importance de l’interdisciplinarité ou le développement des activités sportives non-licenciées. Quant au BAFA comme critère d’entrée en L1 c’est encore moins logique puisque les titulaires d’une L2 en STAP obtiennent l’équivalence du BAFA (Pour le texte, c’est ici) ! Pourquoi demander par avance un brevet dont l’étudiant sera dispensé 2 ans après ?

Un des participants au groupe de travail s’est agacé sur twitter et, reprenant l’argument de la ministre, a rappelé que personne n’est pour le tirage au sort. Certes. Mais cela n’empêche pas de rappeler qu’il s’agit d’une mauvaise réforme. Au contraire ! Il faut insister, encore et toujours, et rappeler que la situation était prévisible et que les ministres successifs ont construit la crise dans laquelle nous nous trouvons. Ils ont construit cette crise quand ils ont sous-estimé, dès 2003 (M. Cytermann était directeur de la DPD, voir ce rapport du Sénat), puis de nouveau en 2008 sous Valérie Pécresse, l’évolution des effectifs dans les universités. Ils ont construit cette crise quand ils ont sciemment organisé la paupérisation du SUP public avec les LRU et « l’autonomie ». Ils ont construit cette crise quand ils ont modifié la structure pédagogique de la plupart des licences en faisant passer, sans moyens supplémentaires, la formation de 800 à 1500 heures. Ils ont construit cette crise quand ils ont obligé les universités à créer des parcours de licence en 3 ans pour les formations qui ne commençaient qu'en 3ème année. Ils ont construit cette crise quand ils ont dispensé les Bacs pro de « pastille verte » et ajouté les réorientés dans APB. Alors certes, on peut faire de son mieux aujourd’hui pour limiter les dégâts, mais il faut garder à l’esprit qu’une autre politique est toujours possible pour le SUP en France, plus ambitieuse et plus efficace. Et pour les moyens, supprimons le CIR et les appels à projets il y aura des marges!

Quelle va être l'utilité de ces "attendus" très généraux? Difficile d'en espérer beaucoup. C'est au niveau de chaque université, de chaque "faculté" que les critères de sélection, pardon les pré-requis, vont être définis. Le risque de malthusianisme saute aux yeux tant il est plus facile de prétendre être excellent par la sélection que par la réussite. Mais rassurons-nous, de toute façon dans chaque académie c'est le recteur qui décidera. Vive l'autonomie!

1 commentaire:

  1. Tout est dit ! Une nouvelle occasion manquée se profile à l'horizon, avec sûrement pour la rentrée prochaine, une situation pire que celle que la réforme avait vocation à résoudre. Pourtant, quelques points de la réforme, frappés du coin du bon sens, mériteraient d'être mis en place...

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