C’est le scoop de la réunion sur les pré-requis qui s’est tenue au ministère le 16 novembre dernier : la ministre veut mettre fin à la compensation. Je n’étais pas invité à cette réunion, mais les différents comptes rendus qui circulent et les discussions que j’ai pu avoir avec plusieurs collègues le confirment : les notes en dessous de la moyenne ne pourraient plus être compensées par celles au-dessus de la moyenne. La réforme n’aurait pas lieu immédiatement puisque le projet de loi en discussion porte sur l’accès à la licence. Elle interviendrait juste après, lors de la réforme de la licence qui passe par un simple arrêté et ne nécessite pas le vote d’une loi. Les organisations étudiantes n’ont pas encore été prévenues a dit la ministre ; on comprend pourquoi !
La compensation est prévue par les articles 15 et 16 de l’arrêté du 1er août 2011 relatif à la licence. Elle permet à l’étudiant de valider un semestre dès lors qu’il obtient la moyenne générale au semestre et de valider une année de formation lorsqu’il a la moyenne générale à 2 semestres consécutifs. Un 15/20 compense un 5/20 au semestre comme à l’année. Ce principe de compensation, appelé « tolérance » par l’Union Européenne, n’était pas une obligation dans le cadre du processus de Bologne. Le guide 2009 des ECTS laissait les États en décider (p.21). Avec la révision des ECTS approuvée en 2015 le terme a même disparu : la compensation n’est plus prévue au niveau européen.
La plupart des collègues vont s’en féliciter. Le dispositif est souvent décrié car il permettrait à un étudiant de valider un diplôme sans avoir la moyenne dans les disciplines fondamentales. La critique mérite cependant d’être nuancée. D’abord les coefficients affectés à chaque matière limitent le risque (même s’ils ne le suppriment pas). Ensuite je me souviens de l’époque où les jurys finissaient par valider une matière après un certain nombre d’échecs pour ne pas refuser son diplôme à l’étudiant. C’était plus arbitraire et pas beaucoup plus cohérent que la compensation. La compensation intégrale est peut-être excessive, elle doit certainement être aménagée, mais de là à la supprimer il y a certainement des marges à explorer.
La ministre justifie cette suppression par sa volonté de permettre l’individualisation des parcours de formation. Comme tout le monde, j’ai traduit cela comme la consécration de la formation par « blocs de compétences ». Plus de semestre, l’étudiant choisit ses cours et obtient le diplôme lorsqu’il a validé le nombre requis de crédits. Dans un tel schéma, il n’y a plus de compensation possible puisqu’il n’y a plus de cadre fixe dans lequel sont inscrits les enseignements.
J’allais critiquer ce système qui ressemble à celui des « tracks » en vogue à une certaine époque dans les Grandes Écoles. J’allais souligner que ce système suppose une grande maîtrise des dispositifs de formation, qu’il est pénalisant pour les étudiants les moins aguerris, qu’il est très couteux… j’allais rappeler que les Grandes Écoles abandonnent ce système trop complexe pour revenir à des « parcours » de formation clairs définis en fonction d’une perspective professionnelle précise, mais les collègues m’ont détrompé : les parcours subsistent !
L’objectif de la ministre n’est pas de supprimer les parcours mais de permettre à l’étudiant de définir son rythme de formation. L’université continue à fixer le programme pédagogique de chaque licence et l’étudiant choisit le nombre de cours qu’il suit chaque année et surtout les modalités pédagogiques de ces enseignements. Un même cours peut ainsi être dispensé sous forme de MOOC, de CM de 26 heures ou de TD de 39 heures, l’étudiant décidant de la formule pédagogique qui lui correspond le mieux.
Pour prendre l’exemple du droit, l’étudiant ne pourra pas décider de préparer une licence sans faire du droit public, il sera obligé d’étudier le droit public et le droit privé selon l’accréditation obtenue par l’université. En revanche il pourra décider de faire le cours de droit des obligations et le cours de droit des sociétés la même année, ou, à l’inverse, étudier le droit des obligations sur 2 ans en commençant par un MOOC la première année et en validant la matière avec 39h de CM et TD l’année suivante.
Je vois les yeux de mes lecteurs qui s’écarquillent. Outre les problèmes de cohérence pédagogique, la mise en œuvre d’un tel dispositif paraît irréaliste. Oui au ministère on vit dans un monde parfait où 2 millions d’étudiants se forment à la carte… Si vous voulez vous mettre dans l'ambiance, vous pouvez écouter le générique de l'île aux enfants en poursuivant votre lecture. C'est super, vraiment ; c'est génial.
Mais même si nous aussi nous faisons un rêve, et même si nous nous situons dans un monde parfait une question se pose : pourquoi supprimer la compensation dès lors qu’un parcours de formation subsiste ? Rien n’empêche en effet, dans ce cas, de constater la compensation 1 an ou 2 ans après? Rien, si ce n’est les moyens des universités pour assumer, pédagogiquement et matériellement et administrativement une telle réalisation.
Mais même si nous aussi nous faisons un rêve, et même si nous nous situons dans un monde parfait une question se pose : pourquoi supprimer la compensation dès lors qu’un parcours de formation subsiste ? Rien n’empêche en effet, dans ce cas, de constater la compensation 1 an ou 2 ans après? Rien, si ce n’est les moyens des universités pour assumer, pédagogiquement et matériellement et administrativement une telle réalisation.
Très bon article (et très bon générique). J'ai trouvé le tuto du ministère pour nous préparer à appliquer la réforme : https://www.youtube.com/watch?v=GwOjVO96RtI
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