mardi 31 octobre 2017

Réforme de la licence : Lénine sors de ce corps !


Mise à jour : quelques remarques complémentaires à la suite des discussions sur les réseaux sociaux et à la fin de la chronique le texte consolidé du projet. N'hésitez pas à signaler d'éventuelles erreurs.

La presse spécialisée ayant diffusé le projet de loi sur la réforme de l’accès au premier cycle de l’enseignement supérieur, une analyse s’impose, même si elle est incomplète. C’est un texte bien curieux, contradictoire, avec quelques cachotteries, un mélange entre les théories post-modernes de Giddens et du « New Labour 90’s » et un centralisme démocratique bureaucratique qui fleure bon la Russie soviétique.

Le projet est sans ambition quand il ravaude le règlement des études universitaires, consacrant les pratiques qui se sont développées ces dernières années en licence comme en master. Le SUP sera sélectif et, pour ne pas émouvoir les syndicats étudiants, il y aura une voie de garage que certains optimistes voudront considérer comme une seconde chance.

Mais par ailleurs, le projet est aussi radical dans sa symbolique, révolutionnaire même, quand il supprime la liberté d’inscription dans le supérieur et, surprise, l’autonomie d’orientation des établissements.


De l’article L612-3 du code de l’éducation ne subsistent que le premier et le dernier alinéa réunis pour consacrer la diversification des parcours de formation. Deux innovations : la création de « parcours de formation personnalisés », qui viennent s’ajouter aux « dispositifs d’accompagnement pédagogique » déjà autorisés, et la suppression de la référence aux arrêtés d’accréditation pour créer de tels parcours. Ceux qui voudraient y voir une reconnaissance de l’autonomie pédagogique des établissements auraient tort : l’article L711-1 du code de l’éducation prévoit déjà que les activités de formation font l’objet de contrats pluriannuels, le ministère aura toujours son mot à dire.

L’alinéa 2 du même texte « Tout candidat est libre de s'inscrire dans l'établissement de son choix… Il doit pouvoir, s'il le désire, être inscrit… » est supprimé, le registre sémantique bouleversé. Plus question de « Liberté », de « choix », de « désir », de « préférences », on parlera désormais « d’inscription subordonnée à l’acceptation par le candidat du bénéfice des dispositifs d’accompagnement ». Dans le vocabulaire aussi, l’émotion et les sentiments font place à la bureaucratie.

Les étudiants ne perdent pas seulement la Liberté, ils devront payer plus ! La ministre ne s’en était pas vantée, mais le texte crée une nouvelle contribution à payer par les étudiants : 60 € pour le premier cycle, 120 € pour le deuxième cycle et 150 € pour le troisième cycle. Comment justifier ce tarif différencié selon les cycles pour des activités qui ne dépendent pas du niveau de formation ? Il s’agit, en effet, de « favoriser l’accompagnement social, sanitaire, culturel et sportif des élèves et étudiants » et de « conforter les actions de prévention et d’éducation à la santé ». Un substitut ou un complément du FSDIE? Le texte, particulièrement mal rédigé, semble indiquer que la taxe concernera aussi bien les lycées que les établissements d’enseignement supérieur publics et privés. Et puis fixer un tarif dans la loi n'est pas très heureux: à chaque modification il faudra repasser par une loi!

On peut se demander s’il s’agit d’un gage donné aux syndicats étudiants, j’en doute. En effet, s’il est bien prévu de leur permettre de participer à la programmation des actions, les termes sont tellement vagues qu’ils ne créent pas d’obligation pour les établissements qui conserveront la maîtrise du processus et pourront ainsi financer les actions qu'ils font déjà.

On découvre avec plus de surprise la reprise en main des établissements d’enseignement supérieur. Ce projet donne les pleins pouvoirs aux recteurs ; et donc au ministre. Les termes « d’autorité administrative » dans le texte actuellement en vigueur sont remplacés par ceux « d’autorité académique » dans le projet et cela change tout.

En effet, comme le soulignait l’IGAENR, « l’autorité administrative » est le président de l’établissement (rapport IGAENR 2016-004, p. 5) alors que « l’autorité académique » est le recteur. C’est donc maintenant le recteur qui fixera les capacités d’accueil et non le président, le recteur qui fixera les quotas de bacs pros ou technos dans les filières traditionnellement « sélectives » ou les quotas de bacheliers bénéficiaires d’une bourse nationale de lycée ou résidant hors de l’académie pour les autres filières.

La procédure d'inscription des bacheliers de l'académie sans proposition est même un camouflet pour les présidents d’universités et la CPU. Alors qu’aujourd’hui le texte prévoit que l’inscription est prononcée par le recteur « après avis du président de l’établissement », cette inscription sera dorénavant prononcée par le recteur après « un dialogue préalable avec le candidat ». Le dialogue a lieu entre recteur et étudiant, le président en est exclu. Un étudiant refusé par ses équipes pédagogiques pourra être inscrit d’autorité par le recteur sans même recueillir son avis. Même les courtisans vont avoir du mal à avaler ce boa.

Et puis il y a des mesures qui laissent perplexe dans ce projet, à tel point que l’on se demande si le gouvernement a vraiment voulu ce qu’il a écrit. Le premier exemple concerne « Celui dont on ne doit pas prononcer le nom » ; le successeur d’APB quoi.

On reprochait à APB de manquer de base légale, son successeur sera inscrit dans la loi en tant que « procédure nationale de préinscription ». Cette procédure devient la porte d’entrée obligatoire pour l’inscription dans une formation de premier cycle. Aucune dérogation n’est prévue, aucun décret d’application. Doit-on en conclure que le successeur d’APB va couvrir toutes les formations de premier cycle ? Les Écoles ont été prévenues ? Cet universalisme impressionne mais il paraît tellement irréaliste à concevoir en 6 mois que l’on craint l’erreur de plume.

Le problème ne se limite d’ailleurs par au successeur d’APB. Le projet de loi modifie le chapitre 1er du Livre VI de la troisième partie du code de l’éducation consacré à l’organisation générale des enseignements ; de tous les enseignements supérieurs. Et la question se pose : les règles que nous venons de présenter ne s’appliquent pas seulement aux universités, mais à tous les établissements d’enseignement supérieur ? Aux enseignements dans les écoles de commerce, les écoles des mines, les écoles normales ? En toute logique la réponse devrait être affirmative. Le recteur devrait-il fixer un quota de bacs pros dans ces écoles ? Ce n’est plus la Révolution de Lénine là, c’est celle de Copernic !
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Le texte consolidé du projet de loi est à télécharger ici

4 commentaires:

  1. Frédéric Dardel1 novembre 2017 à 01:35

    Bonjour,

    Sur la capacité du recteur à "fixer les capacités d'accueil" de manière autoritaire et à forcer l'inscription à l'université, c'est peut-être juridiquement possible au regard du texte, mais je ne crois pas que ça puisse se produire dans les faits.

    Le président d'université peut toujours refuser des inscriptions pour raisons de sécurité (parce que les amphis et TD sont saturés, parce qu'il n'a pas assez de personnel pour assurer la sécurité), en vertu de ses pouvoirs de police. Je l'ai fait deux fois, en 2015 en PACES et en 2016, en PACES et en Droit, tout début septembre. A l'époque, APB nous affectait toujours plus de bacheliers que notre capacité d'accueil, pour anticiper une certaine évaporation : des étudiants affectés par APB mais qui ne viennent pas s'inscrire. Ce "surbooking" ne marche pas toujours et certaines années, ça a coincé.

    La conversation avec le rectorat peut alors se compliquer, mais dans les faits, personne n'a intérêt à un conflit, les acteurs travaillent dans le sens de l'intérêt général et on trouve des solutions. Si le président est ferme, le recteur ne peut pas grand chose...

    Bien à vous, FD

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    1. Bonjour,
      la question des capacités d'accueil est centrale et merci d'avoir relever ce changement des termes « autorité administrative » à « autorité académique » et sa signification.
      Alors, on peut effectivement penser que si les équipes pédagogiques décident de capacités d'accueil, elles soient entendues par le recteur. On peut aussi en douter. Les universitaires ont des capacités d'acceptation incroyables. En fac de Sciences, on a aujourd'hui des groupes de TD à 55 étudiants en L1 (au lieu de 40) et ça ne gène presque aucun collègue ! Alors si le recteur nous dit de passer à 80 étudiants par groupe, on passera à 80 ? Ou bien, ces mêmes collègues, au bout du rouleau, réclameront d'eux-mêmes de nouvelles capacités d'accueil restreintes et la sélection comme solution à tous leurs problèmes ?

      En tout cas, merci pour ton analyse.
      Amicalement.
      Yann L (mcf, fac des Sciences, Montpellier)

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  2. On évoque la mise en place de « contrats de réussite pédagogique ». Certes la notion de « contrat » s’est généralisée dans le domaine de la formation (primaire, secondaire, etc.) ce qui ne dispense pas de la questionner. Du point de vue juridique, le terme « contrat » a un sens précis. Contractualiser une notion aussi complexe, aussi polymorphe et multifactorielle que la « réussite », n’est-ce pas un piège (de plus...) ? Dans le rapport de la CdC L’éducation nationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves, on pouvait lire : « Le défi de la contractualisation réside avant tout dans l’aptitude des agents – et notamment des enseignants - à acquérir une « culture de la performance » et à ajuster leurs modes de travail ou leurs comportements en fonction de nouvelles orientations. La fixation d’objectifs et la mise en place d’indicateurs de performance ne suffiront pas, en eux-mêmes, à les modifier. Cette crainte est d’autant plus forte que le dispositif de contractualisation n’est pas juridiquement contraignant. Il garde un caractère incitatif de « contrat moral ». De fait, dans le cas où le contrat n’est pas rempli, l’établissement (ou le chef d’établissement) n’est pas appelé à en subir une quelconque conséquence. On peut dès lors s’interroger : s’agit-il d’un véritable contrat ? »

    D'autre part peut-on (i.e. les Universités) en même temps – pour utiliser une expression macronienne... – faire sienne la rhétorique du NPM (performance, efficience, optimisation des coûts ou pilotage par indicateurs) - et écarter toute sélection ?

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  3. Enfin un peu d'humour, "Si le président est ferme". Comptons sur le courage des acteurs pour éviter les effets d'une loi. L'antienne est connue et elle a démontré toute sa pertinence depuis dix ans dans les universités… surtout lors des campagnes électorales. Les présidents ne s'opposent à rien, font et défont selon le bon plaisir du Prince.

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