On connaissait la classe inversée, on découvre la compétence inversée. Une nouvelle DGESIP a été nommée en conseil des ministres. Il s’agit de l’actuelle directrice (administratrice générale) de l’INP Grenoble. Le choix laisse perplexe. En principe, quand on procède à un recrutement, on cherche l’adéquation entre le profil du poste et le profil du candidat ou de la candidate. Ici, il semble que ce soit le contraire et que le gouvernement ait cherché le ou la candidat (e) la plus éloignée du profil du poste.
Qu’est-ce qu’un DGESIP ? Vous trouverez la description de ses missions sur le site du ministère. C’est le directeur de l’administration de l’enseignement supérieur et de la recherche universitaire. Le poste requiert des compétences de pilotage de l’enseignement supérieur dans toutes ses dimensions, pédagogie (accréditations, APB, sélection en master), vie étudiante (bourses, CROUS), international, stratégie RH, numérique, recherche universitaire (c’est la DGRI qui a compétence sur le reste de la recherche) et, nerf de la guerre, finances. Le ou la DGESIP « est responsable des programmes « formations supérieures et recherche universitaire » et « vie étudiante » »(programmes 150 et 231). Elle ou il prépare le PAP (Projet Annuel de Performance), le RAP (Rapport Annuel de Performance) qui sont annexés au projet de Loi de Finances, gère le plan campus et les investissements d’avenir.
Habituellement c’est un ancien président ou un ancien responsable d’université qui est désigné et, habituellement encore, il est issu des Humanités ou du domaine Droit/Économie/Gestion. C’est un choix logique puisque l’essentiel des missions et des crédits concerne les universités et leurs étudiants, ces derniers étant inscrits, pour plus de 65% d’entre-eux, dans des formations du secteur des SHS et DEG (voir Repères statistiques 2016). Certes, on pourra m’objecter, non sans raison, que ça n’a pas toujours été une réussite.
Cette fois, la DGESIP a cette particularité de ne jamais avoir mis les pieds dans une université française depuis qu’elle est professeur. À en croire sa biographie sur Educpros, depuis 1988 elle n’a pas vraiment quitté l’Institut Polytechnique de Grenoble (INP Grenoble) dont elle a finalement pris la direction en février 2012. Elle a bien assumé d’autres responsabilités, mais dans des domaines qui relèvent plutôt de la DGRI que de la DGESIP. Malheureusement, on le sait, le poste de DGRI est déjà pris par Alain Beretz… Le gouvernement choisit donc pour un poste technique et non politique (nous ne sommes pas au cabinet de la ministre), une candidate dont le profil est à l’opposé des missions qu’elle devra assumer. Ça c’est de la RH disruptive !
Mais après tout, me direz-vous, cette école d’ingénieur travaille aussi avec l’université de Grenoble, ils sont ensemble dans l’IDEX et elle est certainement compétente. Je ne la connais pas et n’ai jamais eu l’occasion de la rencontrer ou de la lire durant les 15 ans que j’ai passé au conseil d’administration de mon université. En revanche je peux lire le bilan de son action.
Dans son dernier rapport, la Cour des comptes indique que l’INP Grenoble est dans une situation budgétaire « dégradée » en 2016. L’établissement a eu son premier déficit avec le budget 2013, le premier budget dont la nouvelle DGESIP a eu la responsabilité.
Le nouveau portail #DATAESR précise que le compte financier était excédentaire en 2012 (+0,7M€) puis en déficit en 2013 (-3,7M€), en 2014 (-2,5M€), en 2015 (-1,4M€), qu’il a été positif en 2016 (+2,9M€) et qu’il est de nouveau prévu en déficit à la fin de l’année 2017 (-0,1M€). Ce résultat est d’autant plus surprenant que l’INP Grenoble est la seule école d’ingénieur à avoir connu 3 exercices déficitaires (bientôt quatre) et une des seules, d’ailleurs, à avoir été en déficit avant 2015*. La nouvelle DGESIP s’est donc distinguée dans sa gestion par des déficits récurrents quand les autres écoles équilibraient leurs comptes.
C’est certainement idiot de ma part, mais quand il s’agit de gérer un budget, plus encore un budget public, j’aurais plutôt tendance à choisir un responsable qui a su tenir ou redresser les comptes de son établissement plutôt que celui qui les a fait plonger. Je ne dois pas être assez disruptif pour comprendre cette pensée complexe.
Thierry Coulhon, l’inspirateur du programme de l’ESR pour le candidat Emmanuel Macron, et maintenant conseiller ESR du président de la République à l’Élysée, s’est agacé de mes remarques sur les réseaux sociaux. Ces critiques relèveraient d’une «attaque personnelle ».
Ce n’est pas la première fois que le conseiller du président tient de tels propos, alors un dernier mot sur ce point : une attaque personnelle c’est s’en prendre à la personne de quelqu’un. Ce que je critique ici c’est la compétence d’un responsable, la réussite, ou l’échec qu’il a connu dans ses missions. Alors je m'interroge. Ce qui dérange M. Coulhon, comme d’autres, c'est que l'on puisse demander des comptes de son action à un responsable public, une élue en l'occurrence? À défaut d'impunité, c'est une irresponsabilité des décideurs publics qu'il revendique ? Pour ma part, j'ai toujours trouvé normal de rendre compte de ma gestion et des mandats qui m'étaient confiés. Quant à Mme Brigitte Plateau je lui souhaite d'avoir plus de succès dans la gestion de l'ESR auquel j'appartiens que dans celle du précédent établissement dont elle a eu la charge. Et nous suivrons avec intérêt les effets de cette RH disruptive à compétence inversée.
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*Arts et Métier avait eu un déficit de 3,1M€ en 2014 et l’ENSII un déficit de 0,1M€ en 2012. En 2015 la quasi-totalité des écoles étaient en déficit en raison du prélèvement exceptionnel sur leurs fonds de roulement.
Eclairage sur la distinction entre technique (directrice d'administration centrale) et politique (cabinet). Circulaire du 24 mai 2017 relative à une méthode de travail gouvernemental exemplaire, collégiale et efficace https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000034807035&fastPos=1&fastReqId=2043259976&categorieLien=id&oldAction=rechTexte
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