Depuis la réforme du LMD en 2002, l'intitulé des diplômes de master étaient composé de trois éléments: le domaine, très large, la mention et la spécialité. Le diplôme de master était délivré pour chaque spécialité et c'est à la spécialité que se faisait la sélection en M2.
En 2014, Geneviève Fioraso a supprimé les spécialités. L'objectif affiché était de "simplifier" l'offre de formation... comme Thierry Mandon prétend le faire aujourd'hui. Derrière cet habillage progressiste, la réalité était la volonté du ministère de réduire le nombre de masters pour faire des économies... et ouvrir un nouveau marché au privé.
Aujourd'hui le diplôme est délivré à la mention, mais pour ne pas détruire totalement le travail accompli sur la professionnalisation par les équipes pédagogiques des masters, le ministère a autorisé les universités à créer des "parcours" à l'intérieur des mentions. En pratique, ces parcours reprennent bien souvent les anciennes spécialités et c'est au niveau de chaque parcours que se fait la sélection. L'ambigüité de la réforme de Mme Fioraso est qu'il n'y a qu'un seul diplôme pour tous les parcours d'une même mention... mais que le parcours figure néanmoins sur ce diplôme! Pour chaque mention on a donc un seul diplôme mais... différent.
C'est sur cette ambiguïté que joue la DGESIP dans son courrier du 23 février 2016. Simone Bonnafous retient une définition restrictive de la notion de "formation" utilisée par le Conseil d'État. Au lieu de considérer qu'une formation s'entend d'un parcours de master, Mme Bonnafous et ses services considèrent qu'une "formation" s'entend d'une "mention" dans un "domaine" puisque l'habilitation est donnée, et le diplôme délivré, à la mention.
A partir de là Mme Bonnafous en déduit que la sélection reste possible, même sans décret, dans les situations suivantes:
-> Lorsqu'une formation ne commence qu'au niveau M2 en recrutant dans différents M1.
-> Pour les étudiants venant d'autres mentions de M1 dans le même établissement
-> Pour les étudiants venant d'autres établissements
-> Pour certains parcours de M2 "sélectifs" lorsqu'il y a un parcours non sélectif dans la même mention.
La première situation évoquée correspond à ce que l'on appelle un "M2 suspendu" en jargon ministériel. Sur l'ancien format des DEA et DESS, la formation ne commence qu'en M2 et recrute les étudiants dans plusieurs M1. Ces formations tendent à disparaître dans les nouvelles habilitations ; peu d'étudiants seront donc concernés.
La possibilité de sélection pour les étudiants venant d'une autre mention de M1 ou d'une autre université est la conséquence logique de la notion de "cycle de formation" retenue par le Conseil d'État. Puisque le master est un cycle de deux ans, seuls les étudiants qui ont fait la première année dans ce cycle peuvent prétendre intégrer de droit la seconde année. On peut donc avoir à la fois un accès "de droit" pour certains étudiants et un accès sélectif pour ceux qui postulent en M2 depuis un autre établissement ou un autre M1. Restera à organiser cette sélection avec une campagne "complémentaire" de recrutement ce qui ne sera pas évident en pratique. Les étudiants auront tout intérêt à intégrer le master de leur rêve en M1 et non plus en M2 comme actuellement.
La dernière situation est la plus hypocrite. Elle consiste à considérer que le droit à la poursuite de formation s'exerce à la mention et pas au parcours. Selon Mme Bonnafous, une université pourrait donc parfaitement sélectionner sur un parcours si, dans la même mention, elle ouvre un parcours non sélectif. Et voilà où se niche la duplicité de la DGESIP. Même si la mention ne figure pas dans le futur décret, l'université qui souhaite conserver son parcours sélectif n'aura qu'à ouvrir un parcours non sélectif. Quand on sait qu'il suffit d'une délibération des conseils centraux de l'établissement, rien de plus facile. C'est ce que j'appelle un parcours "poubelle", dans lequel seront déversés tous les étudiants qui n'auront pas été retenus dans le parcours sélectif. Il suffira de prévoir des cours magistraux, assurés par des chargés de cours pour réduire les coûts, de supprimer le stage pour respecter les taux d'encadrement imposés par le ministère, de faire échouer la quasi-totalité des étudiants à la fin comme échouent aujourd'hui massivement en L1 les titulaires de Bac Pro et le parcours d'excellence sera préservé. C'est la pire situation que j'envisageais dans une précédente chronique et c'est bien ce que suggère le ministère.
Depuis les déclarations de la ministre Najat Vallaud belkacem, il est clair que le gouvernement veut limiter au maximum la portée du décret autorisant la sélection dans certains masters 2 pour ne pas froisser les anciens de l'UNEF qui courent les cabinets ministériels. Grâce à Mme Bonnafous, la ministre pourra continuer à clamer devant l'Assemblée Nationale qu'il n'y a plus de sélection en master, certains syndicats étudiants pourront se féliciter de ce "droit" à la formation pour tous et les universitaires sont invités à ne pas crier trop fort puisqu'ils pourront instaurer en douce une sélection honteuse.
Mais les universités seraient bien avisées de se méfier des visions doctrinales de Mme Bonnafous. Les tribunaux administratifs qui se sont prononcés sur la sélection en M2 ont tous raisonné au niveau du parcours imposant aux universités d'inscrire les étudiants dans le parcours qu'ils souhaitaient. Sans nécessairement s'offrir un "communiqué" dans Le Figaro, mieux vaut donc se mobiliser pour une sélection assumée et réfléchir ensemble aux autres formations qu'il faudrait développer à l'université.
capture d'écran du communiqué des universités Paris I et Paris II publié dans le Figaro du 4 mars 2016
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