Terra
Nova, le think-tank social-libéral proche du parti socialiste vient de sortir
une nouvelle note sur l’enseignement supérieur, note servilement relayée, comme
à l’habitude, par Mme Brafmann sur son blog du journal Le Monde. Mme Brafmann qui participait encore au mois d’octobre
dernier à une conférence avec Yves Lichtenberger, l’un des auteurs de la note de Terra Nova.
On
retrouve dans ce texte tous les poncifs de Terra Nova, le prêt-à-penser pseudo
scientifique mâtiné de technocratisme,
les formules toutes faites, le nombrilisme et l’entre-soi d’un petit groupe de
copains qui signent leurs articles scientifiques ensemble et décident ensemble que
ce qui est bon pour eux est nécessairement bon pour les autres, et surtout son
passéisme.
Pourtant
la note contiendrait des idées « originales »
si l’on en croit Mme Brafmann ! La ficelle journalistique est un peu grosse.
C’est un peu comme pour les raviolis en boite, il faut écrire en gros dessus
« NOUVELLE RECETTE » pour espérer attirer le gogo. Je ne pousserai pas
l’espièglerie jusqu’à rappeler à Mme Brafmann qu’en 2011 le Monde titrait déjà « Terra Nova brise plusieurs Tabous »
lorsque le Think Tank proposait d’augmenter les droits d’inscription. C’était
il y a 3 ans et il n’y a vraiment rien d’original dans les 9 propositions actuelles et
pas d’idées nouvelles chez Terra Nova. Toujours les mêmes poncifs ressassés en
boucle depuis des années, les mêmes recettes et les mêmes affirmations
péremptoires jamais argumentées.
« Réguler davantage par l’évaluation »
(proposition 5) ? Mme Paradeise, une des co-signataires de la note, explique depuis des années tout le bien
qu’elle pense de l’AERES, pour laquelle elle travaillait, et encore récemment dans
le n°481 de La Recherche (nov. 2013, p.70).
« Accepter l’expérimentation de nouvelles
formes de gouvernance… » (proposition 6) ? Mais cela fait des
années aussi que la même Mme Paradeise et son compère Yves Litchenberger
fantasment sur les « Board of
trustees » et le soi-disant « modèle
américain » dont ils oublient de signaler qu’il conduit à un
endettement critique des étudiants américains.
Augmenter
les droits d’inscription, pardon, « Innover
aussi pour le financement » (proposition 9) ? Là aussi cela fait
des années que Terra Nova considère cette augmentation comme « inéluctable » pour permettre le financement des universités. Mon
université compte 48% de boursiers pour lesquels l’État ne lui donne quasiment
rien. Augmenter les droits d’inscription c’est augmenter le manque à gagner des
universités, pas leur financement.
Et
toutes les propositions sont de cet acabit. Il y a la fierté de M. Korolistski
pour le LMD et le processus de Bologne dans lequel il s’est investi quand il
travaillait avec Claude Allègre, il y a l’obsession de l’utilitarisme de
l’éducation au profit des entreprises de Daniel Bloch, l’inventeur du Bac pro
et d’une grande partie des problèmes de la première année de licence… et l’on
pourrait continuer longtemps cet inventaire.
Terra
Nova radote et vit dans l’illusion du passé idéalisé - on ne sait pourquoi
d’ailleurs – du gouvernement de Lionel Jospin et de Claude Allègre. Lionel Jospin et
Claude Allègre dont le principal fait d’arme aura tout de même été de se couper
des électeurs de gauche avant de les forcer à voter pour Jacques Chirac afin de
faire échec au Front National !
Difficile
de trouver une proposition de Terra Nova qui ait fait progresser la politique
de gauche en France. Depuis sa création en 2008, le think-tank aura réussi
l’exploit de se tromper dans presque toutes ses propositions et ses auteurs
auront, au gré de leurs différentes sinécures, fait montre d’un zèle proprement
incroyable à promouvoir des échecs. Fan de la RGPP, de la LOLF, du LMD, du
processus de Bologne et autres barbarismes technocratiques qui ont conduit
l’État à gérer par «indicateurs de performance » au lieu de
construire un projet de société humaniste et sociale, Terra Nova porte une
responsabilité certaine dans la vacuité de la pensée socialiste actuelle.
Pourtant on ne trouvera pas de
mea culpa chez Terra Nova ! Terra Nova ne se trompe jamais !
Maitrisant à la perfection la novlangue, les auteurs de Terra Nova réutilisent
en boucle la recette des communicants du gouvernement Ayrault : « ce n’est pas la réforme qui est mauvaise,
c’est qu’elle est mal expliquée ; il faut maintenir la mesure et la
réexpliquer » !
Chez
Terra Nova cela donne « ce n’est pas
la réforme qui est mauvaise, il faut que les acteurs se l’approprient ».
Ainsi, une réforme, une proposition de Terra Nova n’est jamais mauvaise, elle
n’est jamais un échec, elle doit toujours réussir et il suffit pour cela que
« les acteurs se l’approprient ».
Et si la réforme échoue et bien ce n’est pas la faute de Terra Nova, ce n’est
pas la faute du parti socialiste, c’est la faute des « acteurs » qui ne se sont pas assez
appropriés la réforme !
Les
propositions de Terra Nova fonctionnent comme un système autopoïétique pour
reprendre la notion développée par Maturana et Varela et que Gunther Teubner,
avec qui Mme Paradeise a cosigné un article, a développé dans le domaine
juridique. L’autopoeïse est un néologisme grec qui désigne un système
circulaire qui trouve en lui-même sa propre légitimité. Dans ce système, une
loi n’a pas besoin d’être efficace pour être légitime, il suffit qu’elle existe.
La loi tire de sa simple existence sa propre nécessité. Et si la loi est
inefficace ce n’est pas que le projet est mauvais, c’est qu’il faut encore plus
de cette loi.
Cette
formule idiote, Terra Nova nous la sert depuis des années à toutes les sauces. En
2009 Terra Nova expliquait ainsi à propos de la réforme de l’État :
« Il faut, comme pour la LOLF, que
les agents publics, et leurs représentants syndicaux, s’approprient la réforme
de l’Etat ». En
2011, M. Korolistki déclarait : « Les
établissements n’utilisent pas encore à plein les potentialités du LMD ». Cette fois l'expression retenue est qu'il faut « retrouver
l’esprit du LMD » (proposition 2).
Oser
écrire sans plaisanter ni s'excuser « Neuf idées
pour redonner confiance aux universités et aux universitaires» quand
on a soutenu avec fierté le processus de Bologne et la masterisation comme M.
Korolitski, le modèle universitaire américain comme Mme Paradeise ou M. Lichtenberger, la création des Bac pro comme M. Bloch c’est indécent. Indécent et insultant
pour les universités, pour tous les universitaires et les étudiants qui
subissent depuis bientôt 15 ans les conséquences des géniales certitudes des experts de Terra Nova.
Alors
Mme Paradeise, MM. Lichtenberger, Bloch, Korolitski ayez pitié pour la Gauche où ce qu’il en reste depuis votre passage. Prenez
votre retraite, l’éducation nationale, la recherche et l’enseignement supérieur
l’ont bien mérité.
Et vous pensez quoi de ce rapport ? http://www.tnova.fr/sites/default/files/autonomiedesjeunes_0.pdf
RépondreSupprimerTerra Nova existe à côté du PS pour deux raisons, parce que les secrétariats nationaux PS sont plus à gauche que le gouvernement, et reçoivent du gouvernement consigne de la fermer. L'ESR en est un bon exemple. S.Delpeyrat n'a rien dit pendant 2 mois à la recherche, alors qu'il n'en pensait pas moins (exemple du cas muselé), et le secrétaire national à l'ens. sup. était... je ne sais même plus, un (vieil) élu des Alpes spécialiste des transports, qui n'a rien dit et rien fait (en tout cas rien publié ni rien communiqué) au titre de son secrétariat national PS pendant 2 ans (cas du gars mis là parce qu'on sait qu'il s'en fout et ne s'en occupera pas).
RépondreSupprimerTerra Nova permet donc au gouvernement (et ses cabinets de hauts fonctionnaires qu'on a rarement vu dans les rangs socialistes du 1er mai et à tracter sur le marché) de s'alimenter en bonnes idées marchéistes.
Le texte de Terra Nova est d'autant plus désagréable qu'il évite (volontairement) d'être précis sur les points qui doivent faire débat. Il se complait en implicites et imprécision, à croire qu'il n'a pas pour but d'informer et de proposer, mais plutôt de donner un coup de coude amical et de connivence aux "modernes" pour leur montrer qu'il est de leur bord. Pour chacune des propositions, il faudrait qu'il s'appuie sur des arguments, des chiffres, une étude des effets de bord. Mais non, la mode est aux "executive summaries", pour les dirigeants qui dirigent et veulent du concis, du direct, de l'action. Les modalités pratiques, celles qui en fait déterminent tous, les paramètres numériques des mesures... cela pourra se discuter en comité executif resserré, on sait que c'est la seule manière d'être efficace.
Le baccalauréat professionnel,par différence avec le baccalauréat général, a permis à des élèves issus très majoritairement de milieux défavorisés de monter d'un cran en niveau de formation.
RépondreSupprimerC'est sans doute, en matière d'éducation, la reforme la plus porogressiste des 30 dernières années,et la gauche peut être légitimement fier de sa creation. Il y a désormais chaque année 150000 bacheliers professionnels, des lycéens qui auparavant s'arrêtaient au cap
Si l'on veut que des élèves issus des milieux les plus modestes accèdent à la fonction de cadre, il faut leur faciliter des parcours au moins jusqu'à la licence processionnelle
Avez vous pensé à ces autrement que pour les rejeter?
Monsieur le président,
SupprimerPermettez moi de vous remercier d’avoir pris le temps de consulter mon blog et d’avoir eu la courtoisie de vous identifier.
Sur le fond, on ne fait pas un projet éducatif pour les statistiques de l’OCDE, mais pour les étudiants.
Le baccalauréat professionnel est un échec, il paraît même que c’est un risque pour les universités!
Ce n’est pas moi qui le dit, mais l’IGAENR, l’inspection de l’éducation nationale dans l’audit diligenté à la demande de Mme Fioraso sur mon université. Faute d’avoir trouvé la moindre responsabilité de l’université pour expliquer son déficit, l’IGAENR cherche le moyen de rejeter la faute tout de même sur l’établissement. L’inspection constate ainsi que la part des étudiants titulaires d’un baccalauréat professionnel augmente (comme dans toutes les universités françaises d’ailleurs) et titre : « une modification des publics étudiants et qui pourrait fragiliser l’université » (point 2.3.4., p.61 du rapport provisoire). Je vous laisse apprécier.
Quant à ma réflexion sur ce dossier, cela fait plus de 20 ans que j’enseigne dans des filières professionnalisées et que je forme des étudiants issus des baccalauréats professionnels. Mon université est particulièrement investie sur la question de l’accueil des étudiants issus de milieux défavorisés, elle a conçu un IDEFI notamment sur cet aspect, a essayé de mettre en place des parcours spécifiques pour les bacheliers pro et a beaucoup investi sur la réussite de ces publics, avec également le DAEU et un pré-DAEU. Alors oui les étudiants issus de baccalauréat professionnels qui passent le cap de la première année réussissent jusqu’au bac+5. Mais force est de constater qu’il s’agit d’une infime minorité et que la très grande majorité de ces étudiants se retrouve en situation d’échec parce qu’ils ne sont pas préparés à des formations universitaires et qu’une fois encore on rend l’université responsable de cette situation.
Dernier point : faire réussir ces étudiants a un coût, un coût que le gouvernement ne veut pas financer.
Les « milieux défavorisés » se moquent de « monter d’un cran en niveau de formation ». Croyez-vous qu’ils soient dupes ? Qu’ils ne voient pas déjà le spectacle affligeant qu’offre un baccalauréat réduit à une monnaie de singe ? Les milieux « défavorisés » ne veulent pas de la soupe populaire enrobée de « pédagogie innovante » que la Rue Descartes leur a réservée dans les Universités. Qui peut croire que, sous couvert de « différenciation des cursus » et de « diversification des parcours », les gueux accepteront la daube concoctée pour eux par les bobos qui nous gouvernent ? Les milieux « défavorisés » aspirent pour eux-mêmes et pour leurs enfants aux mêmes exigences, à la même « intranxigeance » - si on me permet ce néologisme – que celle que les milieux bien informés réservent en-dehors de l’Université à leur progéniture, qui elle ne se mélange pas à la fange du premier cycle universitaire – c’est bien connu que les « milieux défavorisés » peuvent se satisfaire de quelques cours de remise à niveau ou carrément d’alphabétisation...
RépondreSupprimerLe meilleur service qu’on puisse rendre aux « classes populaires », c’est non pas de leur faire miroiter une « réussite pour tous » qui n’est autre que l’aumône pour tous, mais plutôt l’exigence pour tout un chacun. Les « classes populaires » n’ont cure de la condescendance et de la commisération de ces boboreaucrates plus préoccupés d’assurer la « paix sociale » que de dessiner une politique universitaire digne de ce nom. Les « classes populaires » veulent être assurées que les sacrifices consentis assurent non pas l’accès à l’Université de tous les bacheliers quels qu’ils soient – est-ce inscrit dans les Tables de la Loi ? Et pourquoi pas l’accès automatique de tous les bacheliers à Normale Sup, à la Ligue 1 de football, etc. ? – mais l’accès à ceux qui en ont le niveau, la motivation, les qualités et les pré-requis, car c’est là le seul gage de voir son diplôme reconnu et le seul gage d’une éventuelle reconnaissance sur le marché du travail. Autrement l’Université continuera pour longtemps à jouer le rôle de ces femmes d’antan, soumises et résignées, contraintes d’accepter un mari choisi pour elles sans leur consentement. Et cette femme soumise, humiliée, muselée, bafouée, bâillonnée devrait en plus répondre de son « efficience » comme « bonne épouse » et être « évaluée » pour ses « performances » ???