Le
gouvernement ne recule devant aucun stratagème pour imposer la privatisation de
l’enseignement supérieur et rassurer les clientèles qui le conseille. Le
dernier en date ? Sur plusieurs dispositions essentielles, le projet de loi déposé devant l’Assemblée Nationale ne correspond pas à celui présenté devant le CNESER. Il ne s’agit pas seulement de modifications rédactionnelles, mais d’un
changement substantiel sur des dispositions clefs du projet, notamment en
matière de formation.
Nous
reviendrons en détail sur toutes les modifications apportées au projet de loi
après sa présentation au CNESER, mais nous insisterons dans cette chronique sur
deux dispositions particulièrement choquantes qui illustrent la stratégie de
Mme Fioraso et du gouvernement socialiste : la suppression de la priorité d’accès aux IUT pour les bacheliers
technologiques et surtout l’autorisation
donnée à toutes les écoles privées qui délivrent le grade de master de proposer
maintenant le diplôme de master.
Suppression de la priorité d’accès aux
IUT pour les bacs technos
La
ministre a d’abord cédé au lobby des IUT en revenant sur la priorité donnée
devant le CNESER aux titulaires d’un baccalauréat technologique pour l’accès
aux IUT (art. 18 du projet de loi déposé à l’Assemblée Nationale).
Le
texte présenté au CNESER prévoyait que les bacheliers technologiques « bénéficient d’une priorité d’accès aux
instituts universitaires de technologie ». Cette rédaction signifiait
que les IUT devaient d’abord traiter les demandes d’inscription des bacheliers
technologiques avant d’envisager l’accueil de bacheliers généraux. Les IUT
retrouvaient leur vocation première et pouvaient consacrer les moyens très
importants dont ils disposent à la réussite des bacheliers technologiques, les
universités prenant en charge la formation des bacheliers généraux.
La
nouvelle rédaction revient sur cette proposition. Terminée la priorité donnée
aux bacheliers technologiques ! Le texte indique seulement que, dans
chaque académie, le recteur aura la faculté de prévoir un « pourcentage minimal de bacheliers
technologiques » dans le cadre de la procédure de préinscription.
Et
voici une des rares dispositions de la LRU2 favorable aux universités qui passe
à la trappe. Chaque région, aura sa propre stratégie de formation des
bacheliers technologiques. Les IUT continueront à privilégier les bacheliers
généraux avec les moyens destinés aux bacheliers technologiques et ces derniers
continueront à échouer dans les amphithéâtres de première année des universités
qui auront toujours moins de moyens pour les accueillir. Il sera alors plus
facile de dénigrer les universités et de mettre en avant l’échec en première
année…
Le
CNESER n’a pas pu donner son avis sur cette nouvelle orientation stratégique qui
remet pourtant en cause tout le discours sur la réussite des étudiants, mais
c’est sur les masters que le détournement de procédure est le plus flagrant.
Autorisation des établissements privés
à délivrer des masters
Dans
sa rédaction actuelle l’article L.731-14 du code de l’éducation interdit sous
peine d’amende (30.000 €) à un établissement privé d’enseignement supérieur de
prendre le titre d’université ou de donner aux certificats d’études qu’il
délivre l’intitulé de « baccalauréat », «licence » ou
« doctorat ». C’est sur cette base que le ministère de l’enseignement
supérieur a, par exemple, déposé une plainte contre l’ouverture à Toulon de « l’université Fernando Pessoa ».
Le
texte, en revanche ne dit rien des « masters »
et les établissements privés d’enseignement supérieur, écoles de commerce ou
écoles d’ingénieurs notamment, se sont engouffrés dans la brèche pour délivrer
des « mastères » ou des
« masters of sciences » qui
sèment la confusion dans l’esprit des étudiants et dont le niveau n’est pas
toujours reconnu à l’international.
Là
aussi le ministère voulait donner un gage aux universités et aux étudiants en
étendant aux « masters »
l’interdiction faite aux établissements d’enseignement supérieur privés
d’utiliser ce titre pour leurs certificats d’études. Et là aussi le gouvernement
revient en arrière.
L’article
42 du projet de loi déposé à l’Assemblée Nationale renonce à protéger les
masters comme le baccalauréat, la licence ou le doctorat. Il propose seulement
d’ajouter un troisième alinéa à l’article L.731-14 ainsi rédigé : « Est puni de la même peine [30.000 €] le
responsable d’un établissement qui décerne des diplômes portant le nom de
master, alors qu’il n’a pas été autorisé, dans les conditions fixées par
décret, à délivrer, au nom de l’État, des diplômes conférant le grade de
master. »
La
conséquence de cette rédaction est considérable car, a contrario, elle autorise les établissements supérieurs privés à
utiliser le titre de « master »
dès lors que leurs diplômes confèrent le « grade de master ». Pour les seules écoles de commerce, il s’agit
déjà de 106 diplômes ! Et il faut encore ajouter les diplômes des écoles d’ingénieurs, des IEP, des
écoles d’architectes, les diplômes propres de l’université Paris Dauphine, ceux
de l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, etc…
Plus
besoins de « mastères »,
plus besoin de « masters of
sciences », les établissements privés pourront délivrer des
masters !
Dans
le dos du CNESER, la stratégie du gouvernement socialiste de Jean-Marc Ayrault apparaît
ainsi au grand jour : transformer les universités, en particulier les
universités scientifiques ou de gestion, en collèges universitaires,
privatiser l’enseignement supérieur au niveau des masters et assurer le
pilotage de l’ensemble par les régions. Un programme dont la droite libérale n’aurait
même pas osé rêver.
PS: toutes mes excuses pour les fautes de frappe non corrigées avant publication et un grand merci aux lecteurs qui les ont notées!