lundi 18 février 2019

Pour s'approprier les réformes : Vive le CONSTERNATHON !


Il y a peu, Newstank, la revue spécialisée dans l’éducation consacrait un article à l’Educathon organisé par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Judicieusement, Newstank restituait une interview de la conseillère éducation au cabinet de la ministre du SUP afin de nous permettre de comprendre en quoi consistait un Educathon.

À la lecture j’ai cru à une parodie. On apprend que le ministère a réuni pendant 2 jours 150 collègues à l’esprit juvénile afin de produire des outils destinés à faciliter la mise en œuvre de la loi ORE. À les voir toutes et tous en photos on pense à « La vie est un long fleuve tranquille » avec son spectacle paroissial de fin d’année. Pas si étrange : un des animateurs, pardon, des « cabinets de conseil », est à l’origine du fameux ( ?) « Hack my church » organisé en l’église Sainte Blandine de Lyon - grâce au soutien de la Fondation Saint-Irénée - pour « voir l’invisible » et « pourquoi pas un chapelet connecté »… Au point où nous en sommes avec Vidal et Blanquer, s’en remettre à la miséricorde divine n’est peut-être pas si absurde.

Et puis c’est tellement disruptif de faire appel à 2 cabinets de conseil qui n’ont que quelques mois d’existence (5 janvier 2018 pour l’un, 8 juin 2018 pour l’autre) et ne comptent aucun salarié… Qu’importe ! Un « sociologue facilitateur en innovation publique » (sic) pour relever le défi d’un Educathon à coup sur c’est « the right person in the right place at the right time » !

On reste confondu par la pauvreté du discours, avant d’être pris d’un fou rire nerveux. Pauvreté du discours ? Toute la rhétorique qu’affectionne le New Public Management est mobilisée : « co-construction », « livrables » « séquençage par étapes » permettant « d’avancer pas à pas » [manifestement pas très loin], « immersion », « faciliter l’appropriation de la réforme » et « l’essaimage » avec un « raisonnement usager ». Rarement vu tant de perles enfilées dans si peu de phrases. Ce n’est plus un collier c’est le marché des grossistes à Shanghai !

Il fallait suivre le fil twitter de l’événement et ses photos exposant les gris-gris du NPM. Il y avait le grand panneau à l’entrée avec la liste des « équipes » et ses rubriques [vides, NDLR] « où en est-on », « on se demande »… Il y avait les tables et les tableaux avec leurs feutres multicolores et leurs inévitables post-it®, les rectangulaires et ceux en forme de fleurs, les paravents et leurs affiches « équipe n°3 Stratégie et organisation », « équipe n°20 Pédagogie » . Il y avait la « cible » des « parties prenantes » et les « cartes acteurs ». Et nos collègues à l’esprit juvénile n’ont pas hésité à se laisser photographier avec leur « production » scandée de « bullet point » et déclinée en mindmaps :

« relier compétence et savoirs »
« Le bloc »
« > Étude de cas : comment convaincre les enseignants »
« >Côté étudiants : disparités »
Pas à dire ; c’est puissant.





Et pourquoi tout cela ? Pourquoi un Educathon ? C’est là que l’on est pris d’un fou rire nerveux . Pourquoi ? Et bien parce que personne ne sait comme appliquer la réforme révolutionnaire et tellement Nouveau Monde de la New Licence. Et donc au mois de février le cabinet se réveille et se dit « zut, on a modifié au JO les textes sur les licences, mais comment on fait ? » Après les cantiques, c’est à la java de Boris Vian que l’on songe : « Mon oncle un fameux bricoleur/Faisait en amateur/Des bombes atomiques… Y a quéqu'chos' qui cloch' là-d'dans/J'y retourne immédiat'ment ».

Extrait de l’interview de Mme la conseillère éducation : « et on s’est aperçu que beaucoup d’acteurs de terrain ne savaient pas comment s’y prendre, et on s’est dit qu’on allait utiliser l’année 2018-2019 pour faire en sorte que cela atterrisse plus facilement dans les établissements »… Il y a du Mistinguett là dedans où je ne m’y connais pas ! « On dit/quand je fais mes emplettes/Que j'paie pas c'que j'achète/C'est vrai ». Bref, ni les universités ni le ministère n’ont la moindre idée de la façon dont nous allons organiser cette New Licence à la rentrée…

Et ce n’est pas fini car, portée par l’enthousiasme et certaine que le ridicule ne tue plus, la conseillère formation veut « renouveler l’expérience » avec la PACES, la professionnalisation ou les Espé. Alors pour la suite ON suggèrera à la conseillère formation de lancer un CONSTERNATHON où, avec l’aide de deux cabinets de prestataires en appui à la démarche (Ginette, pardon, l’Entreprise des Infaisables, et Monique, pardon, le cabinet de conseil le submersible) les collègues seront invités à imaginer comment appliquer dans 6 mois la réforme votée il y a 9 mois dont personne n’a idée de ce qu’elle doit être. Le principe, créatif et participatif, inspiré d’une tradition ancestrale déclinée numériquement avec les nouveaux outils de l’IA, consistera à concevoir une bouteille virtuelle remplie d’un message inconscient symboliquement jeté dans la mer de, que dis-je, dans l’Océan de la bêtise managériale afin qu’il coule par 1000 pieds de fond. L’exercice est difficile certes, mais il ne faut jamais manquer d’ambition et l’expérience pourrait s’avérer profitable ; au moins pour Ginette et Monique, pardon, pour les deux cabinets conseil.

Il y aurait bien une autre solution : réfléchir avant de pondre une réforme et de publier un décret au JO plutôt que l’inverse. Pour le coup, cela semble hors de portée de nos actuels gouvernants. Mais justement, en cette période de Grand Débat où le gouvernement demande quel service public supprimer pour réduire les impôts, il serait peut-être temps de lui répondre qu’il commence d’abord par crever toutes les baudruches du néo-management, et par oublier les gadgets, les « cabinets » de conseil et les « consultants » pour laisser travailler les universités.

1 commentaire:

  1. Rassurez-vous, dans mon université, on n'a pas attendu les élucubrations du ministère pour se lancer dans des expérimentations parfois hasardeuses sur l'offre de formation. Or si je suis d'accord jusqu'à un certain point pour changer mes pratiques pédagogiques face à un public étudiant hétérogène et diversement motivé, je pense que l'argent serait souvent mieux investi en moyens humains (c.à.d. en postes d'EC) qu'en dispositifs innovants qui seront financés par une ANR aux contenus souvent fumeux. Mais jugez plutôt par vous même : http://pare.univ-poitiers.fr/

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