dimanche 7 janvier 2018

De la sélection des étudiants à la sélection des enseignants?

Je vous souhaite une bonne année 2018 à toutes et à tous. Ce sera une bonne année sans bonnes résolutions ni voeux. Je sais ne jamais tenir mes bonnes résolutions, et les voeux du gouvernement ne sont même pas pieux. Autant commencer l'année par un peu de sincérité.

Avec la rentrée, la ministre de l'enseignement supérieur a eu l'occasion de revenir sur ParcourSup et la réforme de la licence. Ce dimanche elle déclare : " L’université va dire oui à tout le monde, tous les étudiants seront inscrits dans la formation de leur choix mais elle va adapter les parcours". Est-ce l'expression de la nouvelle ambition présidentielle de lutter contre les fake-news? En tout cas voici un discours parfaitement sincère et, reconnaissons-le, conforme à la réalité.

J'imagine la mine déconfite des présidents et collègues qui croyaient transformer les universités en Grandes Écoles : il n'y aura pas de sélection à l'entrée de l'université. La sélection se fera au coeur de l'université, dans le choix des formations et, pire encore, du parcours de formation. Les "attendus" de ParcourSup ne seront pas destinés à refuser l'accès à l'université, mais à orienter vers un parcours "normal" ou un parcours de relégation... Comme je l'explique depuis quelques temps, il nous faudra, demain comme aujourd'hui, enseigner à tous les étudiants, bons et moins bons. La seule différence est qu'au lieu de les réunir dans un même amphi, nous les séparerons: les bons d'un côté et... les moins bons d'un autre.

Nombreux sont celles et ceux qui ont réagi sur les réseaux sociaux : la réussite d'une telle réforme nécessite des moyens humains et financiers considérables. S'il faut adapter les parcours à chaque étudiant, il faut multiplier les formats de cours, donc les heures, donc les postes, donc les crédits... C'est une solution en effet ; celle des optimistes. Il y a la solution plus pessimiste, les parcours de relégation, où l'on attendra que les moins bons se lassent de l'université. Et puis il y a le projet de la ministre.

Pour le comprendre il faut se souvenir que le gouvernement a bien insisté: la réforme de l'entrée en Licence n'est qu'une première étape. En 2018 les autres étapes vont se succéder et c'est elles qui vont donner une cohérence, dangereuse, au discours de la ministre.

Tant qu'aucune approche "disruptive" du SUP ne sera développée - j'en profite pour faire ma pub et rappeler aux startuppers que j'ai toujours un projet dans les cartons pour ceux qui sont intéressés - la question des moyens ne peut se régler qu'en jouant sur 3 leviers : le nombre d'étudiants, le format des formations et... le statut des enseignants.

En instaurant une sélection au coeur de l'université et non à l'entrée de l'université, le gouvernement s'interdit d'actionner le premier levier ; reste les deux autres. La ministre a déjà annoncé qu'elle allait utiliser le deuxième levier et modifier le format de la licence. Il y aura des MOOCs (ou plutôt des SPOCs, c'est à dire des cours accessibles en ligne après paiement), mais c'est cosmétique et de fait très coûteux. C'est donc surtout l'approche par "compétences" qui permettra de multiplier les cours sans multiplier les coûts.

Cette approche par compétences a déjà pris racine dans la nouvelle procédure d'habilitation/accréditation des formations. Auparavant, le dossier d'habilitation devait décrire avec précision les intitulés, le volume horaire et le contenu de chaque enseignement. Il fallait respecter le format imposé par les arrêtés: volume horaire total, langues étrangères, cours d'informatique etc. Aujourd'hui ce n'est plus le cas. L'accréditation est donnée à un "projet de formation" qui décrit les objectifs pédagogiques, les compétences et les moyens de les acquérir. La nature des enseignements, les volumes horaires, sont renvoyés aux conseils centraux des universités. Cette dérégulation devrait être consacrée par la future réforme de la licence. Selon toute probabilité, le référentiel horaire sera abandonné ou largement atténué, chaque université décidant du format... en fonction de ses moyens. On pourra ici avoir une licence à 1500 heures et là une autre à 1000 heures, ou à 800 heures présentielles et 700 heures en auto-formation ou équivalents SPOC...

Cette réforme du contenu de la licence sera couplée avec la réforme de la "gouvernance", la fameuse "expérimentation" à laquelle tiennent certains membres de la CURIF et le (soudain) fantomatique conseiller au SUP de l'Élysée. L'expérimentation permettra de créer des formations alternatives à la licence, des "bachelors" par exemple, plus coûteux, mais mieux encadrés. Le prestige se paiera. Il faudrait une chronique spécifique pour expliquer l'échec inévitable de ce projet. On dira simplement ici que, contrairement aux illusions des membres de la CURIF, le prestige ne se mesure plus, hélas, à la qualité de l'enseignement, mais au seuil de rémunération garanti par le diplôme. Et sur ce point je doute que les futurs "bachelors" fassent mieux que ceux des Grandes Écoles.

Cette dérégulation des formations et des diplômes permettra de rogner sur les coûts, mais elle ne suffira pas à libérer les marges budgétaires nécessaires à l'individualisation annoncée des parcours. Reste le dernier levier: les enseignants. La première technique consiste à limiter le recours aux enseignants-chercheurs. Il y a ce qui se fait déjà: transformer des postes d'enseignants-chercheurs en PRAG ou recourir à des contractuels d'enseignement qui font plus d'heures... mais pas de recherche. C'est un des ingrédients de la purge des bons docteurs de l'IGAENR: réorienter les enseignants-chercheurs sur leur "coeur de métier" en laissant à d'autres enseignants les cours généralistes. Là encore, que les thuriféraires de l'excellence ne se réjouissent pas trop vite: c'est en gelant ou en transformant des postes d'enseignants-chercheurs que l'on dégage la masse salariale nécessaire à cette restructuration. Il y aura donc moins de postes et tout autant de contraintes pour ceux qui resteront.

Mais il y a une deuxième technique, plus efficace : la modification du statut des enseignants-chercheurs. Le décret de 1984 a déjà été profondément entamé. Il y a le "référentiel", maintenant le "référentiel métier" qui enthousiasme le SGEN-CFDT sous prétexte de formation.

Une piste consiste à allonger le service enseignant en passant la charge annuelle de 1607h/an à 1770h/an pour s'aligner sur les 39h/hebdo. Proportionnellement, le service passerait de 192h TD à 211h TD sans modification de la rémunération. C'est une réforme de boutiquier pour un coût politique élevé. Alors il y a la seconde piste, celle de la CURIF: la dérégulation permise par l'expérimentation et la réforme de la gouvernance par ordonnance déjà évoquée. En s'inspirant du "modèle" anglo-saxon, le cours servirait de référence, plutôt qu'un volume horaire. Les enseignants-chercheurs seraient recrutés pour assurer un certain nombre de "cours" dont les modalités, le volume horaire, seraient négociables. L'individualisation des parcours étudiants ne coûterait plus grand chose et c'est l'offre et la demande qui dicteraient le recrutement de ces enseignants-chercheurs mercenaires. En complément ceux-ci seraient incités à développer leur marque, leur "Branding", et même à proposer une préparation spécifique aux examens aux étudiants... capables de payer cette prestation complémentaire.

Ni voeux ni bonnes résolutions donc pour la nouvelle année, mais beaucoup de courage à vous toutes et tous et peut-être, enfin, une mobilisation pour une autre vision du SUP.

2 commentaires:

  1. Allez, on rajoute les universités à deux vitesses, les bonnes et les mauvaises, enfin les universités de recherche et les autres. Les autres seront de grands lycées, les enseignants du second degré qui rêvent d'intégrer l'université sans passer par la case HDR pousseront les EC dehors et youpi.
    Ou comment dépecer méthodiquement une des plus anciennes institutions, temple de la connaissance et de la pensée.

    Joyeux Noël Félix et bonne année.

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  2. Dans le domaine scientifique,avec le cursus Master en ingénierie (CMI) le PIA3 a déjà créé des formations "d'excellence" appuyées sur des licences et master augmentés. Pour le moment, le surcoût est financé mais à la fin du financement, il faudra bien que les étudiants sortent le porte-monnaie.

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