lundi 13 octobre 2014

Prix Nobel : le grand ratage de "l'excellence"

Chaque année, la société Thomson Reuters se fait fort de prédire les prix Nobel. Elle aurait ainsi "prédit" le nom de 35 lauréats du prix Nobel depuis 2002. On pourrait sourire de cet exercice divinatoire qui rapproche les sciences "dures" des sciences "molles", Web of Sciences® des travaux sociologiques d'Elisabeth Tessier. Mais comme il s'agit de sciences "dures" justement, Thomson Reuters prétend avoir une démarche SCIENTIFIQUE! La société affirme pouvoir découvrir les lauréats potentiels à partir des citations dans les revues scientifiques classées et c'est à partir de la base de données Web of Sciences® que la prédiction est construite ; excusez du peu!

Pour ceux qui ne connaissent pas Web of Sciences®, il s'agit de cette base de donnée exploitée par Elsevier®, une des trois "majors" de l'édition scientifique avec Springer® et Wiley®. En caricaturant à peine, on pourrait définir l'activité de ces "éditeurs" comme consistant à faire payer les chercheurs pour qu'ils publient avant de faire payer les autres chercheurs pour lire lesdites publications!


Des pétitions ont été lancées contre ces "éditeurs". Harvard, qui dénonce des profits de 35% à faire pâlir n'importe quel éditeur, vient d'inciter ses facultés à se tourner vers l'Open Access pour ne plus avoir à souscrire des abonnements prohibitifs. En France, en revanche, Mme Fioraso et son ministère ont fait le choix... de faire payer d'office les universités par un prélèvement à la source sur leurs crédits! Que ne ferait-on pas au Ministère de l'Éducation au nom de l'excellence! Et puis comme d'habitude, la décision ne coûte rien à l'État, ce sont les universités qui régalent.

Prédire le nom des futurs prix Nobel n'est qu'un outil de communication de plus pour imposer ces bases de données lucratives qui suscitent une hostilité grandissante dans le monde de la recherche. Mais maintenant que le nom de tous les prix Nobel est connu on peut revenir sur ces prédictions ; l'augure scientifique a-t-il eu raison? Et bien non! Échec sur toute la ligne. Pas un nom en 2014!

Pourquoi dans ces conditions consacrer un billet à ce sujet? Et bien parce que cet échec est riche d'enseignements et il illustre par bien des aspects l'aberration du discours sur l'excellence qui sert de viatique à tous les partis politiques au pouvoir depuis 30 ans.

D'abord, Thomson Reuter ne prédit ni le prix Nobel de la paix, ni le prix Nobel de littérature. Les Humanités sont hors du champ de l'excellence mesuré par Web of Sciences®. Et c'est bien une réalité à laquelle nous sommes confrontés tous les jours: "l'excellence" dont se gargarisent les ministres passe à côté de l'essentiel comme ici Thompson Reuter passe à côté du prix Nobel de la paix.

Ensuite, le classement de Thomson Reuter reflète les défauts de l'édition scientifique telle qu'elle se pratique aujourd'hui. Il privilégie les grandes institutions scientifiques anglophones, les stratégies quantitatives de publications, la recherche appliquée sur la recherche fondamentale, les concepts faciles à la "mode" plutôt que les avancées sur le fond.

On retrouve les nano-technologies chères à Mme Fioraso, les théories économiques sur l'entrepreneuriat... Thomson Reuter voyait même parmi les lauréats possibles le griot des oxymores politico-économiques, Philippe Aghion auteur d'un rapport dont les présupposés idéologiques sont à l'origine de la LRU et de la loi Fioraso et dont je comparais ici les travaux à l'horoscope de Marie-Claire !

Pour autant, je ne suis pas optimiste sur la capacité de nos décideurs à entendre la leçon. Les drogués de "l'excellence" ont déjà commencé à récupérer les nominations. Sur twitter Jacques Attali a l'hommage particulièrement creux.

Quant à Geneviève Fioraso, dont la politique n'est que mépris pour les LLASHS ou la recherche fondamentale, elle dit sa fierté que la France soit un pays "de la connaissance".

Pas certain que sa politique participe à cette réussite.


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