dimanche 13 juillet 2014

Sélection en master : Benoît Hamon remporte le grand prix de la langue de bois

Alors que prend fin la Coupe du Monde, C’est une confrontation d’un niveau particulièrement élevé qui s’est déroulée à l’Assemblée Nationale le 10 juin dernier sur la question de la sélection en master. D’abord passée inaperçue, elle a finalement mis le ministre en difficulté et ouvre des perspectives inquiétantes pour les étudiants.

Geneviève Fioraso, déjà interrogée sur le sujet le 3 juin, avait été éliminée en demi-finale face à un adversaire courageux mais qui manquait manifestement de préparation sur le 3-5-8, le LMD. C’est fort logiquement que l’on retrouvait en finale Patrick Hetzel, député UMP et ancien DGESIP de Valérie Pécresse et Benoît Hamon, actuel ministre de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Entre le premier qui n’a rien fait sur le sujet pendant les 4 années durant lesquelles il dirigeait l’enseignement supérieur et le second qui n’a pas l’intention d’en faire plus le temps que durera son ministère, le match s’annonçait serré; il tint toutes ses promesses. La question de Patrick Hetzel était perfide, la réponse du ministre d’une vacuité sidérale.


Jaillissant des questions au gouvernement, Patrick Hetzel demanda « quand et comment » le ministre comptait « procéder pour déplacer la sélection de l’entrée du M2 vers l’entrée du M1 ».

M. Hetzel jouait là une partie qu’il connaît parfaitement. En 2006, après le mouvement de grève contre le CPE, Patrick Hetzel a dirigé une Commission du Débat National Université-Emploi (Dominique de Villepin était premier ministre ; on reconnaît son style) qui proposait de « Ramener la sélection en début de M afin de supprimer la rupture entre M1 et M2 et encourager une continuité de cursus » (De l'université à l'emploi : rapport final dela Commission du débat national Université-Emploi, p. 47). Régulièrement, depuis qu’il est député, il relance la question, comme, par exemple, lors de la discussion de la LRU2 de Mme Fioraso (amendement n°174 sur l’article 19 additionnel, 23 mai 2013, 3ème séance). Il faut donc reconnaître à M. Hetzel une certaine constance. Mais, lorsque l’on a de telles convictions, il est d’autant plus regrettable de les oublier justement au moment où on est en capacité de les porter.

Devant l’attaque, le nouveau ministre de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche montre toute l’étendue de son jeu. Il détourne brillamment la balle dans une langue de bois des plus pures où le poids des mots et l’accumulation de superlatifs masquent le néant du discours et l’ absence totale de projet.

Le ministre reconnaît devant la Représentation Nationale l’importance de la question. Nous sommes face à une « survivance », il est « absolument nécessaire de faire évoluer cette mesure » car la sélection en M2 est « inadmissible »…

L’auditeur retient son souffle : que va annoncer le ministre ? Et bien il annonce une « approche globale de l’accès au master », une approche (bis) visant « à associer le point de vue des syndicats enseignants et étudiants ».
- Oh !
- Ah !
Et pourquoi faire ?
- Justement ! Pour « tirer les conséquences de cette survivance [bis] qui ne satisfait personne et qui nécessite d’être réformée »...
- Mais il est Pour ou Contre la sélection en M1 le Ministre ?
- Il est d’accord ou pas avec M. Hetzel ?
Pas de réponse.

M. Hamon met fin à la partie en répondant à M. Hetzel «  Vous préconisez d’autres solutions » sans plus de précisions, un peu comme un footballeur qui soudain ramasserait le ballon et rentrerait au vestiaire avant que l’arbitre siffle la fin du match.

L’avantage de la langue de bois, c'est qu'elle permet de dire tout et son contraire. C'est aussi le risque car, la surprise passée, ceux qui s'étaient réjouis de la réponse du ministre se sont inquiétés. Et si, finalement, « tirer les conséquences de cette survivance qui ne satisfait personne et qui nécessite d’être réformée » cela signifiait la sélection à l'entrée en master comme le réclament nombre d'universitaires depuis 10 ans?

Benoît Hamon ne pouvait pas laisser croire qu'il allait réformer l'enseignement supérieur! Très vite les communiqués se multipliaient pour expliquer qu'il était hors de question d'instaurer la sélection en M1. Et comme cela ne suffisait pas pour apaiser une UNEF qui cherche à faire croire qu'elle a encore une influence sur les campus, le ministre en rajoutait une couche: non seulement il n'y aurait pas de sélection en M1, mais la sélection en M2 était inacceptable! C'est facile la démagogie quand on est ministre.

Mais quelles seront les conséquences prévisibles des déclarations à courte vue de M. Hamon? On sait que les masters professionnels ne sont pas conçus pour former plus d'une vingtaine d'étudiants et que dans les masters recherche, il est de plus en plus difficile d'avoir un directeur de mémoire. Comment faire si tous les étudiants admis en M1 doivent être accueillis en M2?

En coulisse, certains au ministère ont déjà suggéré la réponse. Puisqu'ils méprisent les universités et leurs formations les voici qui imaginent d'ouvrir des parcours  « voie de garage ». Il y aurait ainsi les  « parcours d'excellence » et ceux destinés à accueillir les autres étudiants. C'est méprisant, mais on a l'habitude. C'est aussi oublier qu'un master, pour un enseignant-chercheur, ce sont des heures de travail pédagogique et administratif non reconnu ; pas si simple de trouver des volontaires.

Le scénario le plus probable n'est pas celui-là. Il est plus proche de ce que l'on constate déjà dans les disciplines scientifiques qui ouvrent sur l'agrégation. Pour garantir le niveau universitaire au concours ou au master, les collègues remonteront le niveau d'exigence en M1. Tous les étudiants admis en M1 doivent être accueillis en M2? Pas de problème, il suffit de réduire le nombre d'étudiants admis en M1. Ce ne sont plus 40 ou 50 étudiants qui obtiendront leur M1, mais 10 ou 20. Ceux-là en effet seront admis en M2. Quant aux autres, ils concluront leurs études sur un échec et on retrouvera ainsi au niveau master des taux d'échec proches de ceux de la première année de licence.

Encore une belle réussite à mettre au bilan de ce gouvernement, mais que lui importe ? Quand cette évolution sera sensible plus aucun de ceux qui l'auront initiée ne sera ministre. Ils pourront, comme M. Hetzel, sur les bancs de l'Assemblée, faire la leçon au nouveau ministre en lui demandant de résoudre les problèmes qu'ils auront été incapables de traiter.

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