mercredi 11 juin 2014

Nouveau décret financier : fin de partie pour «l’autonomie»

Les ministres et les gouvernements passent, les mauvaises habitudes restent. Après avoir fait voter la LRU un 10 août  et la LRU2 un 22 juillet, c’est un dimanche 8 juin, veille de pentecôte, que le gouvernement de Manuel Valls sort le nouveau décret financier sur les universités, COMUE et autres établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche. Gageons que le décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs ou les textes transformant le système SYMPA pour, éventuellement, y intégrer la masse salariale passeront pendant l’été !

Au passage, le texte souligne le déclassement de l’enseignement supérieur et de Mme Fioraso, qui arrive logiquement en avant-dernière place des signataires, après le premier ministre et pas moins de 10 ministres ! Benoît Hamon est bien le patron de l’enseignement supérieur et de la recherche et c’est donc lui qui doit maintenant en assumer la responsabilité politique.

Quel est l’objectif de ce texte ? En réalité, et c’est une autre mauvaise habitude, le nouveau décret poursuit plusieurs objectifs. Comme Albert aurait pu me le dire, quand on court deux lièvres à la fois on les rate tous les deux. Et là il y en a au moins trois.


D’abord le nouveau décret harmonise les règles budgétaires et financières applicables aux différents établissements d’enseignement supérieur et de recherche, universités, COMUEs, Grands Établissements, Écoles... Mais, le texte poursuit un deuxième objectif : reprendre le contrôle du pilotage financier des universités une fois qu'elles ont été mises en déficit par l'État. Enfin, pour faire bonne mesure et être certain de rater les cibles, le nouveau décret donne des gages aux IUT en restreignant, là encore, la maigre « autonomie » des universités.

Une stratégie pour supprimer des postes d'enseignants-chercheurs


Avec ce décret financier, l’État achève donc sa manœuvre d’étouffement de l’université publique. Au nom de « l’autonomie », de la « Liberté » et de la « Responsabilité » il a d’abord transféré un ensemble de charges aux universités, masse salariale des fonctionnaires, alourdissement des coûts de formation, exonération des droits d’inscriptions pour de nouveaux boursiers, etc... Ensuite l’État n’a pas ou peu financé les charges transférées mettant sciemment en déficit les universités. Qu’ils soient UMP ou Socialistes, les gouvernements peuvent faire des promesses puisqu’ils ne les paient plus et que ce sont les universités qui régalent. Enfin, et c’est l’objet de ce décret, l’État reprend la main en renforçant la tutelle du ministère sur ces mêmes universités une fois qu’elles sont déficitaires.

Les universités sont placées devant une alternative destructrice : supprimer des postes pour gérer la pénurie « librement » ou protéger leurs maigres moyens et se retrouver en déficit ce qui permet aux recteurs de reprendre la main sur le budget…et de supprimer les postes que les universités se sont refusées à « geler ».

Le "plan de rétablissement de l'équilibre financier" nouvelle arme du MESR

En novlangue, la nouvelle machine de guerre du ministère s’appelle le « plan de rétablissement de l’équilibre financier ». Quand le gouvernement est à l’origine du déséquilibre, c’est beau comme « l’autonomie » un « plan de rétablissement de l’équilibre financier » !

Avec ce nouveau décret, le recteur intervient dès le premier déficit. Lorsque le compte de résultat « accuse une perte », selon les termes choisis par le texte, le conseil d’administration doit déterminer « par une délibération les conditions de retour à l’équilibre pour l’exercice suivant », délibération qui doit être soumise au préalable à l’avis du recteur (article R.719-104 nouveau du code de l’éducation). Si malgré ces mesures le déficit persiste sur un deuxième exercice, les bons conseils du recteur ne suffisent plus : il faut son avis conforme.

Comme le condamné contraint de creuser sa propre tombe, c’est le président de l’université qui élabore en toute « autonomie » le « plan de rétablissement de l’équilibre financier » validé par le recteur et c’est le conseil d’administration qui approuve tout aussi « librement » ce plan. Si le Conseil d’administration refuse d’obtempérer, et bien le recteur arrête le budget et le conseil d’administration est dépossédé de ses prérogatives (art. R719-109 nouveau du code de l’éducation). Il y a beaucoup de lâcheté dans « l’autonomie » des universités vue par Benoît Hamon et ses équipes.

Et ce n’est pas fini ! En principe les pouvoirs du gouvernement sur les universités sont liés à l’existence d’un déficit ; les universités retrouvent leur « autonomie » lorsque leur budget est équilibré. Mais ça, c’était le principe avant que le gouvernement socialiste ne modifie les règles du jeu. Le nouveau décret prévoit que le recteur peut continuer à contrôler le budget des universités même lorsque les finances sont revenues à l’équilibre « s'il estime que la situation de l'établissement n'est pas durablement assainie » (art. R719-109, IV nouveau du code de l’éducation). C’est le règne du bon plaisir et de la subjectivité de l’État, en contradiction totale avec la loi que ce décret prétend appliquer.


Un texte confus et mal écrit


Enfin ; tout cela ce sont les objectifs politiques de Benoit Hamon et du gouvernement de Manuel Valls. Parce qu’ensuite il y a le texte du décret. Et c’est encore une autre mauvaise habitude : le texte est mal écrit, ce qui laisse place au doute, aux contresens, plus qu’à l’interprétation. Il y a dans ce gouvernement comme dans les précédents une incapacité récurrente et inquiétante à exprimer juridiquement des objectifs politiques.

Prenons, par exemple, l’article 1er. Il dispose : « Les titres Ier, IV, VI et VII du livre VII de la troisième partie du code de l'éducation (partie réglementaire) sont modifiés conformément aux articles 2 à 21 du présent décret. » On s’attend naturellement à ce que cette réforme importante s’applique immédiatement aux universités en déficit. Pourtant, à la fin du décret, l’article 24, I précise : « Les dispositions prévues aux articles 1er, 2, 3, 5, 7, 10, 11, 16, 20 et 22  entrent en vigueur le 1er janvier 2016 ». Donc la modification « des titres Ier, IV, VI et VII du livre VII de la troisième partie du code de l’éducation », « conformément aux articles 2 à 21 » du nouveau décret, c’est-à-dire toute la réforme financière, ne s’applique qu’au 1er janvier 2016 !

On doute que telle soit l’intention du gouvernement puisque l’exposé des motifs précise que le texte rentre en vigueur « le lendemain de sa publication », mais c’est pourtant bien la conséquence de la rédaction combinée des articles 1er et 24 du décret.

Plus bêtement encore, le nouveau décret entend renforcer immédiatement les pouvoirs du ministère, via les recteurs. Or, en même temps, le texte crée un nouvel article R. 719-109-1 ( !) dans une sous-section du code de l’éducation consacrée au budget et au régime financier des EPSCP passés aux RCE, donc des universités, article ainsi rédigé : «  Pour les établissements dont la tutelle relève du ministre chargé de l'enseignement supérieur, un arrêté pris par ce ministre conjointement avec le ou les autres ministres de tutelle fixe la liste des établissements pour lesquels le contrôle budgétaire est effectué par le recteur d'académie, chancelier des universités ».

En clair, pour que les recteurs puissent exercer un contrôle budgétaire sur les universités, il faut d’abord qu’un arrêté ait dressé la liste des universités concernées ! Le décret financier ne s’applique donc pas « le lendemain de sa publication », comme l’affirme l’exposé des motifs, mais il ne s’appliquera qu’après publication de l’arrêté en question, un arrêté absurde puisque toutes les universités sont passées aux RCE. Là encore, il y a fort à parier que ce n’était pas le but poursuivi par le ministère. Il s’agissait plus probablement d’éviter un double contrôle budgétaire lorsqu’un établissement autre qu’une université (une COMUE, une école) est soumis à la double autorité du ministre de l’enseignement supérieur et d’un autre ministre, agriculture, industrie, défense, etc… Mais ce n’est pas ce que les services de M. Hamon et de Mme Fioraso ont écrit. Encore plusieurs semaines de gagnées… pardon, de perdues, pour la grande réforme financière du ministère de M. Hamon …

Des perspectives de contentieux


Et ce n’est pas fini ! Lorsqu’un double déficit est constaté, nous avons dit que le budget ne peut être voté qu’après avis conforme du recteur sur le plan de retour à l’équilibre. Mais si le texte précise ce qui arrive lorsque le conseil d’administration refuse le plan de redressement proposé par le président et revêtu de l’avis conforme du recteur, il ne précise pas ce qui se passe si… le président et le recteur ne sont pas d’accord, ce qui est loin d’être une hypothèse d’école.  Comme le texte reste silencieux sur ce point, si le président et le recteur ne sont pas d’accord, a priori il ne se passe… rien. Rien jusqu’au mois de janvier de l’année suivante ou, en l’absence de budget voté, c’est un pourcentage du budget déficitaire de l’année précédente qui est ouvert à titre provisoire ! Rien jusqu’au mois de mars de l’année suivante ou, si il n’y a toujours pas d’accord, le recteur « arrête » le budget, ce qui signifie qu’il rend le budget exécutoire, mais pas qu’il le conçoit !

Et l’on peut continuer longtemps la liste des problèmes laissés en suspend par une rédaction maladroite. A quel moment le recteur va-t-il prendre la main ? En cours d’année comme cela le leur a été dit ou seulement pour le budget initial de l’année qui suit celle au cours de laquelle le déficit est constaté, c’est à dire en pratique 2 ans après le déficit comme la rédaction retenue le laisse supposer ?



Il faut néanmoins reconnaître un mérite, certes involontaire, au gouvernement de Manuel Valls, comme à celui de Jean-Marc Ayrault. Ils parviennent à rendre presque ludique une discipline judirique, le droit budgétaire, plutôt considérée comme austère par les étudiants.


Mais tout de même ; quand j’étais jeune thésard, j’ai connu l’époque où, même sous le mandat d’un président socialiste et d’un gouvernement socialiste, les textes de lois et les règlements étaient écrits par des professionnels du droit, des universitaires généralement, professeurs, magistrats, et non par des professeurs de physique ou de communication politique dont ce n’est pas la spécialité, des énarques de la promotion Voltaire ou d’une autre ou des commerciaux du CEA ; une époque où, au Conseil d’État, les avis n’étaient pas donnés par des amis nommés au tour extérieur mais par des spécialistes du droit public. C’était peut-être plus long dans la phase d’élaboration des textes, mais au moins nous n’étions pas obligés de les refaire tous les 3 mois.

1 commentaire:

  1. D'accord sur le fond de l'article les choses ne s'arrangent pas. Elles s'empirent, j'invite les lecteur à lire la formidable thèse d'A. LAMI sur la tutelle de l'Etat sur les universités.

    RépondreSupprimer