mercredi 17 avril 2013

LRU2 : La version finale du projet de loi autorise les établissements privés à délivrer les masters


Le gouvernement ne recule devant aucun stratagème pour imposer la privatisation de l’enseignement supérieur et rassurer les clientèles qui le conseille. Le dernier en date ? Sur plusieurs dispositions essentielles, le projet de loi déposé devant l’Assemblée Nationale ne correspond pas à celui présenté devant le CNESER. Il ne s’agit pas seulement de modifications rédactionnelles, mais d’un changement substantiel sur des dispositions clefs du projet, notamment en matière de formation.

Nous reviendrons en détail sur toutes les modifications apportées au projet de loi après sa présentation au CNESER, mais nous insisterons dans cette chronique sur deux dispositions particulièrement choquantes qui illustrent la stratégie de Mme Fioraso et du gouvernement socialiste : la suppression de la priorité d’accès aux IUT pour les bacheliers technologiques et surtout l’autorisation donnée à toutes les écoles privées qui délivrent le grade de master de proposer maintenant le diplôme de master.

Suppression de la priorité d’accès aux IUT pour les bacs technos

La ministre a d’abord cédé au lobby des IUT en revenant sur la priorité donnée devant le CNESER aux titulaires d’un baccalauréat technologique pour l’accès aux IUT (art. 18 du projet de loi déposé à l’Assemblée Nationale).

Le texte présenté au CNESER prévoyait que les bacheliers technologiques « bénéficient d’une priorité d’accès aux instituts universitaires de technologie ». Cette rédaction signifiait que les IUT devaient d’abord traiter les demandes d’inscription des bacheliers technologiques avant d’envisager l’accueil de bacheliers généraux. Les IUT retrouvaient leur vocation première et pouvaient consacrer les moyens très importants dont ils disposent à la réussite des bacheliers technologiques, les universités prenant en charge la formation des bacheliers généraux.

La nouvelle rédaction revient sur cette proposition. Terminée la priorité donnée aux bacheliers technologiques ! Le texte indique seulement que, dans chaque académie, le recteur aura la faculté de prévoir un « pourcentage minimal de bacheliers technologiques » dans le cadre de la procédure de préinscription.

Et voici une des rares dispositions de la LRU2 favorable aux universités qui passe à la trappe. Chaque région, aura sa propre stratégie de formation des bacheliers technologiques. Les IUT continueront à privilégier les bacheliers généraux avec les moyens destinés aux bacheliers technologiques et ces derniers continueront à échouer dans les amphithéâtres de première année des universités qui auront toujours moins de moyens pour les accueillir. Il sera alors plus facile de dénigrer les universités et de mettre en avant l’échec en première année…

Le CNESER n’a pas pu donner son avis sur cette nouvelle orientation stratégique qui remet pourtant en cause tout le discours sur la réussite des étudiants, mais c’est sur les masters que le détournement de procédure est le plus flagrant.

Autorisation des établissements privés à délivrer des masters


Dans sa rédaction actuelle l’article L.731-14 du code de l’éducation interdit sous peine d’amende (30.000 €) à un établissement privé d’enseignement supérieur de prendre le titre d’université ou de donner aux certificats d’études qu’il délivre l’intitulé de « baccalauréat », «licence » ou « doctorat ». C’est sur cette base que le ministère de l’enseignement supérieur a, par exemple, déposé une plainte contre l’ouverture à Toulon de «  l’université Fernando Pessoa ».

Le texte, en revanche ne dit rien des « masters » et les établissements privés d’enseignement supérieur, écoles de commerce ou écoles d’ingénieurs notamment, se sont engouffrés dans la brèche pour délivrer des « mastères » ou des « masters of sciences » qui sèment la confusion dans l’esprit des étudiants et dont le niveau n’est pas toujours reconnu à l’international.

Là aussi le ministère voulait donner un gage aux universités et aux étudiants en étendant aux « masters » l’interdiction faite aux établissements d’enseignement supérieur privés d’utiliser ce titre pour leurs certificats d’études. Et là aussi le gouvernement revient en arrière.

L’article 42 du projet de loi déposé à l’Assemblée Nationale renonce à protéger les masters comme le baccalauréat, la licence ou le doctorat. Il propose seulement d’ajouter un troisième alinéa à l’article L.731-14 ainsi rédigé : « Est puni de la même peine [30.000 €] le responsable d’un établissement qui décerne des diplômes portant le nom de master, alors qu’il n’a pas été autorisé, dans les conditions fixées par décret, à délivrer, au nom de l’État, des diplômes conférant le grade de master. »

La conséquence de cette rédaction est considérable car, a contrario, elle autorise les établissements supérieurs privés à utiliser le titre de « master » dès lors que leurs diplômes confèrent le « grade de master ». Pour les seules écoles de commerce, il s’agit déjà de 106 diplômes ! Et il faut encore ajouter les diplômes des écoles d’ingénieurs, des IEP, des écoles d’architectes, les diplômes propres de l’université Paris Dauphine, ceux de l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, etc…

Plus besoins de « mastères », plus besoin de « masters of sciences », les établissements privés pourront délivrer des masters !

Dans le dos du CNESER, la stratégie du gouvernement socialiste de Jean-Marc Ayrault apparaît ainsi au grand jour : transformer les universités, en particulier les universités scientifiques ou de gestion, en collèges universitaires, privatiser l’enseignement supérieur au niveau des masters et assurer le pilotage de l’ensemble par les régions. Un programme dont la droite libérale n’aurait même pas osé rêver.

PS: toutes mes excuses pour les fautes de frappe non corrigées avant publication et un grand merci aux lecteurs qui les ont notées!

5 commentaires:

  1. Ce qui est choquant c'est que l'auteur de blog prône la médiocrité en acceptant la notion de quotas dans les IUT.
    Cher Monsieur ce n'est pas en affaiblissant les IUT que vous allez améliorer le niveau du premier cycle universitaire. Vous n'avez pas compris que nos élèves iront nécessairement dans les formations privées si on les empêchent de s'incrire dans un IUT...Occupez vous de votre nombril et laisser les IUT faire leur travail de qualité...
    C'est vraiment pénible cette attitude de nivellement par le bas

    RépondreSupprimer
  2. Cher Anonyme,
    je reproche à la ministre d'avoir contourné la consultation démocratique en imposant pour les IUT une stratégie différente de celle affichée devant le CNESER.

    Quant à la "performance" affirmée des IUT, je constate que ces Instituts ne font pas la démonstration d'une "valeur ajoutée" pour reprendre la terminologie du ministère, qui permette de les qualifier de "Performants".

    Si les IUT accueillaient les bacheliers technologiques et parvenaient à améliorer leur réussite dans le supérieur grâce aux financements spécifiques dont ils bénéficient, alors je saluerais la performance des IUT.
    cordialement

    RépondreSupprimer
  3. J’ai l’impression que l’on prend le monde universitaire et la population française pour des idiots. En ce qui concerne l’incompétence de Mme Fioraso cela ne fait aucun doute pour moi…elle adore les quotas grace auxquels elle a eu un poste de Ministre….Il faut esperer que son dossier scolaire lui permettait à son époque d’integrer une première année d’IUT…Nous sommes gouvernés par des communicants stupides qui pronent la médiocrité et l’égalitarisme…
    Il faut attendre le mois de mai 2013 pour voir de l’effervescence dans l’enseignement supérieur…il y a une véritable exaspération du personnel des IUT de France en ce moment… »Ras le Bol »

    RépondreSupprimer
  4. A propos des Masters et Cie, il semble que vous ne connaissez pas bien le dossier sur le plan juridique.
    Les Mastères Spécialisés ont été créés par la Conférence des Grandes Ecoles bien avant que M. Allègre crée les "Mastaires" universitaires, rebaptisés Masters. Les écoles ne se sont nullement "engouffrées dans la brèche" comme vous l'écrivez.
    Les écoles de commerces habilitées à délivrer le grade de Master ne sont pas 106, mais une quarantaine. Alors que toutes les écoles d'ingénieurs ont vu leur diplôme gratifié du grade de Master.
    Le ministère ne conduit donc pas une politique de "privatisation" de l'enseignement supérieur. Il mène une stratégie de retardement face à une évolution européenne (LMD) qui conduira inévitablement à reconnaître le label de "master" à toutes les formations de niveau bac+5. Bien entendu elles ne seront pas de même niveau. Tout comme un Master de Paris VI n'est pas du même niveau qu'un Master de l'université de Perpignan.

    RépondreSupprimer
  5. Je découvre tardivement votre prise de position contre la loi qui favoriserait la délivrance des "Masters" par les "écoles privées"

    Il semble que vous connaissez mal le dossier.
    1) les "écoles de commerce privées" qui auraient le droit de délivrer le master seraient 106. En fait vous confondez les écoles de commerce délivrant un diplôme "visé" (96 selon votre annexe, plus 12 autres écoles) avec les écoles délivrant un diplôme valant grade de master (48 selon votre annexe). Or ces écoles sont évaluées et habilitées par l'Etat, qui joue son rôle de garant de la qualité.
    2) la moitié des "écoles privées" dont vous parlez ont un statut de droit public (les écoles consulaires) et mettre dans le paquet des écoles "privées" Saint-Cyr, les IEP ou Dauphine surprend, de la part d'un juriste.
    3) vous oubliez que toutes les écoles d'ingénieurs (environ 150, publiques et privées) ont obtenu le grade de master, dès la création de celui-ci par Allègre.
    4) les écoles de commerce ou d'ingénieurs ne se sont pas "engouffrées" dans la brèche pour créer des "mastères" ou des Masters of Sciences, puisque ces titres, accrédités par la Conférence des Grandes Ecoles, existaient avant la création du diplôme national de Master par Allègre
    6) l'utilisation du concept de "grade" visait justement à unifier le système français dans le cadre européen du LMD.
    7) la rédaction de la loi montre tout simplement que le ministère a compris qu'il a perdu la bataille de retardement sur l'exclusivité, pour les diplômes nationaux, du titre de Master. Par exemple le ministère avait "oublié" que le sigle "MBA" voulait dire "Master in Business Administration", ou que l'ENA prétendait délivrer un "Master" sans être une université, ni être habilitée à délivrer le grade de Master, etc.
    7) le plus surprenant est que la loi ne protège pas davantage le nom d'université. Car à côté des déclarations de principes, prospèrent les "universités d'entreprise", les "universités d'été" des partis politiques, les "universités du troisième âge", etc. galvaudant le nom d'université.

    RépondreSupprimer