L’actualité politique nationale m’incite à
évoquer un manque criant du projet LRU2 : l'absence de toute proposition
sur la transparence et la lutte contre les conflits d’intérêts dans la
politique de recherche et d’innovation.
Alors que les scandales se sont succédés ces
derniers mois dans le secteur de la santé, de l’agro-alimentaire ou de
l’énergie, mettant en cause l’indépendance de la recherche et des instances de
contrôle ou la collusion entre le politique et certains secteurs industriels,
il est frappant de constater que le projet LRU2 ne prévoit rien pour clarifier
les relations entre service public et intérêts privés. Ce n’est pas un hasard.
La social-démocratie dont se revendique le
président de la République et ce gouvernement n’a pas de soutien populaire.
C’est un gouvernement par les élites, les experts auto-proclamés des
think-tanks comme « Marc Bloch » ou « Terra Nova »
et ce mode de gouvernance par cooptation où quelques-uns sont persuadés de
détenir la vérité révélée sans compte à rendre au plus grand nombre est un
terreau fertile pour les conflits d’intérêts.
Le mélange des genres devient si commun, si
naturel qu’il ne choque même plus, ni même n’interroge ceux qui le pratiquent. On
peut croire à la sincérité, à la probité de ces acteurs ; on doutera de
leur indépendance d’esprit.
Quand M. Jolion, ancien conseiller municipal
socialiste de Villeurbanne, ancien conseiller scientifique auprès du
vice-président socialiste de la région Rhône-Alpes, « chef du service
de la stratégie de l’enseignement supérieur et de l’insertion
professionnelle » au ministère et ingénieur prévoit 32 mentions de
master pour les sciences de l'ingénieur et seulement 12 pour l’ensemble des Lettres
et des Langues, comment ne pas s’interroger sur l’influence de son histoire
personnelle sur l’organisation du service public de l’enseignement
supérieur ?
Quand, dans le projet de loi LRU2 version du
15 janvier 2013, la ministre propose de modifier la composition des comités de
sélection en expliquant, je cite : « Pour prendre un exemple, un
comité de section [sic] pourra maintenant comprendre des
chercheurs du CEA », on se demande quel rôle la proximité de Mme
Fioraso avec le Commissariat à l'Énergie Atomique (CEA) a pu jouer dans cette proposition.
Sur son blog, Mme Fioraso rappelle avoir été, de 1989
à 1995, « cadre de direction d’une start-up du CEA, CORYS».
Mme Fioraso omet de préciser que cette start-up avait été créée par Michel
Destot, député-maire socialiste de Grenoble, également ingénieur de recherche
au CEA et qu'après leur départ le
successeur de M. Destot a été sanctionné pénalement pour présentation de faux bilan : les comptes
manquaient de sincérité et des subventions destinées à des universités et des laboratoires avaient
notamment été conservées par la société commerciale.
Ni M. Destot, ni Mme Fioraso n’ont été
sanctionnés, mais les irrégularités commencent « au cours de l’année
1995 » et c’est seulement en juin 1995 que M. Destot et Mme Fioraso quittent CORYS.
Quand, toujours dans le projet LRU2 du 15 janvier 2013, la ministre
propose de modifier l’article L111-6 du code de la recherche pour donner 4
grandes priorités à la recherche, l’énergie, la santé, les transports et la
sécurité alimentaire, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur l’influence
qu’ont pu avoir les membres du comité d’organisation des assises de
l’enseignement supérieur liés à ces grands secteurs industriels.
M. Pierre Tambourin, par exemple, est un
scientifique de renom, conseiller municipal à Evry, proche de Manuel Valls dont
il présida le comité de soutien pendant les primaires
socialistes, ancien élève de l'école polytechnique, ancien président
du conseil d’administration de l’École Normale Supérieure de Cachan, du
conseil scientifique de l’INRA, directeur
général du génopole®, membre de l’Académie des technologies.
À partir de 2009, M. Tambourin est également
vice-président du conseil stratégique de la société Bioréalités SAS, une startup
soutenue par la région Languedoc-roussillon avant … d’être rachetée en
totalité par les Laboratoires Servier en juillet 2011 en pleine affaire du médiator. Difficile
de savoir si M. Tambourin a continué à conseiller Bioréalités après son rachat
par les laboratoires Servier.
M. Tambourin est, par ailleurs, membre du
conseil scientifique de la société canadienne Medicago Inc. spécialisée dans la mise au point de vaccins
et dont Philip Morris International (oui le Philip
Morris des cigarettes car certains produits développés constituent un débouché
potentiel pour des variétés de tabacs) détient 40% du capital. Une société qui revendique
également ses liens avec le génopole® que dirige M. Tambourin.
Une fois encore, je ne doute ni de la
probité, ni de la sincérité de ces éminents scientifiques. Mais comment
conserver son indépendance d'esprit lorsque l'on est autant impliqué dans des
projets commerciaux en lien avec son activité publique de recherche ?
Ce
gouvernement et ceux qui l’entourent n’ont aucune volonté de promouvoir la
transparence dans les relations entre le secteur public et le secteur privé. Au
contraire, Mme Fioraso annonce, que les "activités de
transfert" seront traitées par ordonnances, loin du débat démocratique
alors que c'est le cœur des conflits d'intérêts avec l'industrie.
Et pour qu’il n’y ait plus
de conflits d’intérêts le gouvernement a
trouvé la solution : il suffit de légaliser ce délit et de le transformer en
priorité pour le redressement de la France !
Comme
Valérie Pécresse et Nicolas Sarkosy étaient parvenus à vendre la mise sous
tutelle financière des universités sous le vocable « d’autonomie », le gouvernement Ayrault et François Hollande
vont promouvoir le conflit d’intérêts sous le doux nom de « politique d’innovation ».
Et
quoi de mieux qu’un rapport « scientifique » pour légitimer la
démarche ? Avec Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin, Geneviève Fioraso
commande donc un rapport « scientifique» sur
« l’innovation » à M. Beylat… et à M. Tambourin !
Bien
entendu, ce rapport préconise de « réviser
les méthodes pédagogiques de l’enseignement primaire et secondaire pour
développer les initiatives innovantes » (recommandation n°1) pour qu’à
l’avenir les jeunes français comprennent combien il est important de financer
par l’impôt la R&D des entreprises privées. Puisqu’il s’agit de favoriser
les intérêts des grands lobbies industriels français, autant recommander
également de «favoriser l’essaimage
à partir des grands groupes » (recommandation n°3). On peut alors
insister sur la nécessité de « favoriser
la mobilité des chercheurs entre public et privé » en rebaptisant les
conflits d’intérêts du qualificatif de « circulation de l’intelligence » (recommandation n°6)…
La
liste des « experts »
invités à conclure à la nécessité d’une imbrication entre recherche publique et
entreprises privées est un florilège des liens que nous dénonçons. On trouve
pêle-mêle un membre du génopole de M. Tambourin, un proche du premier ministre
Jean-Marc Ayrault, un membre de Terra
Nova, 4 personnes liées au CEA, à Michel Destot, le maire de Grenoble, et à
Geneviève Fioraso avec une mention spéciale pour M. Philippe Trichet.
M.
Philippe Trichet possède, nous disent MM. Beylat et Tambourin "une triple expérience professionnelle, ...
acquises [sic] au sein des sociétés MERLIN
GÉRIN puis CORYS TESS". En réalité, comme Mme Fioraso, c'est dans la
société CORYS de Michel Destot que M. Philippe Trichet exerce tout d’abord. Le
nom de M. Philippe Trichet apparaît d’ailleurs dans le rapport des experts
judiciaires mandatés pour analyser les comptes de la société CORYS (Annexe
4.5.A).
En
octobre 1996 M. Philippe TRICHET rachetait des actions de la société CORYS et
bénéficiait d'une prime exceptionnelle dont le montant, curieusement, correspondait
exactement au coût de son entrée dans le capital de la société. Les experts
commis par le procureur de la République concluaient : « compte tenu de tous les éléments présentés
précédemment, on pourrait en conclure que cette prime a été versée pour
permettre le rachat des titres CORYS Groupe ».
Encore
une fois, pas de sanction pénale, mais quel manque de sens moral et quel
fonctionnement clientéliste ! A ce niveau de partialité ce rapport sur l’innovation
relève de la propagande, pas de la réflexion scientifique.
Ce gouvernement fonctionne en vase clos comme un système autopoïétique qui se légitime lui-même. Cette stratégie va détruire le service public de l'enseignement supérieur et de la recherche en France. Elle n'améliorera pas la situation économique de la France. Elle ne diminuera pas le chômage car ces grands groupes industriels préfèrent redistribuer les économies faites grâce au service public à leurs administrateurs ou à leurs actionnaires. Mais, en pleine affaire "Cahuzac", on peut être certain qu'elle renforcera encore le rejet de la classe politique.
Mise à jour le 8 avril 2013: M. Ayrault vient de nommer Mme Lauvergeon à la tête d'une "commission innovation 2030"... et pendant ce temps là les affaires continuent pour le lobby du nucléaire
Mise à jour le 8 avril 2013: M. Ayrault vient de nommer Mme Lauvergeon à la tête d'une "commission innovation 2030"... et pendant ce temps là les affaires continuent pour le lobby du nucléaire
Un autre genre de succès en partenariat public/privé:
RépondreSupprimerhttp://www.lalibre.be/economie/actualite/article/809143/cette-spin-off-qui-vaut-des-ennuis-judiciaires-a-l-ulb.html
Le problème est que si l'on doit appliquer la prohibition des conflits d'intérêts dans la recherche française, elle ne pourrait fonctionner en l'état des moyens dont elle dispose!
RépondreSupprimerAu niveau national, le CNU ne peut être neutre (entre la section n°x qui ne promeut que ses membres, la section n°y qui ne qualifie que les thèses dans lesquelles un membre ou ancien membre du CNU était rapporteur ou pour laquelle un membre actuel se porte garant (sic !), la section n°z au sein de laquelle ils ont failli venir aux mains... car la thèse dirigée par untel qui était présent n'a pas été correctement "dirigée" !)...
Au niveau local: les profils de poste sont le plus souvent faits pour quelqu'un de local, les comités de sélection composés judicieusement (quand ce n'est même pas parfois une copie d'un jury de thèse précédent complété avec les anciens thésards des premiers,...),...
Au niveau scientifique, le double aveugle est loin d'être généralisé...
Bref c'est toute l'architecture du système qui est à revoir... et le travail est conséquent, les moyens requis colossaux, bref... rien ne va changer, on gérera au cas par cas... circulez !