mercredi 24 janvier 2018

Parcoursup aveuglé par les grands nombres

Il faut reconnaître une qualité à Parcoursup : la plateforme fourmille d’informations. En particulier elle indique les capacités d’accueil de cette année et celles de la rentrée prochaine. La ministre ayant annoncé la création de 22.000 places supplémentaires, il est possible de vérifier ; en théorie.

En théorie, car le ministère n’est pas très coopératif. Il faut se livrer à un travail de fourmi, formation par formation, pour comparer la variation des capacités d’accueil avant et après la réforme. C’est ce que j’ai fait sur la Licence AES (Administration Économique et Sociale).


J’ai choisi l’AES parce que j’y enseigne (avec grand plaisir), mais aussi parce que cette formation correspond parfaitement aux orientations du ministère. C’est une licence pluridisciplinaire (droit, économie, gestion, SHS), à vocation professionnalisante, qui forme de nombreux profils avec une grande diversité de parcours (généralistes pour les PME/PMI, intervenants du secteur social, agents de la fonction publique). C’est aussi une formation qui attire des jeunes de milieux modeste comme alternative aux Bachelors des écoles de commerce et c’est une formation qui a été confrontée au problème de l’accueil des bacs pros. Alors que la pluridisciplinarité est un défi supplémentaire pour l’étudiant, il y a quelques années les bacs pros s’y inscrivaient massivement… et échouaient tout aussi massivement. Enfin l’AES est une filière « jeune », comparée au Droit à l’Histoire ou aux Mathématiques, et souffre souvent d’un taux d’encadrement très faible avec un recours important aux enseignants sur statut précaire. L’AES est donc un bon marqueur de la réforme.

J’ai comparé les capacités d’accueil dans toutes les formations AES sur  Parcoursup et la tendance n’est pas à l’augmentation : 4.030 places  supprimées à la rentrée prochaine par rapport à cette année ! Pour créer 22.000 places supplémentaires dans Parcoursup, il en faudrait donc en réalité 26.000 ! Lorsque j’étais vice-président, j’ai toujours critiqué le ministère pour cette manie des grands nombres. C’est beau un grand nombre, c’est simple, facile à utiliser, ça plaît à la presse, mais ça ne sert à rien. Entrons dans le détail des données Parcoursup concernant l’AES et le constat apparaît beaucoup plus complexe.

La généralisation des capacités d’accueil

Premier enseignement, Parcoursup confirme la généralisation des capacités d’accueil. Toutes les licences AES en fixent aujourd’hui alors que les AES de Lille, Marseille et Poitiers n’en imposaient pas l’année dernière. Sur le papier la réforme accroît donc la sélection. Mais il faut encore affiner l’analyse.

Le nombre de places : de la COM

La variation du nombre de places offertes par les universités est un indicateur très imparfait de la réalité de la sélection. Les 4000 places supprimées en AES dans Parcoursup n’ont pas toutes les mêmes conséquences. Dans la plupart des cas cela n’a pas d’incidence sur le niveau de sélection. Chambéry passe de 999 places à 60, et Clermont-Ferrand de 1000 places à 260, mais les capacités d’accueil initiales étaient purement virtuelles. Il n’y aura pas nécessairement plus de sélection à Clermont-Ferrand à la rentrée que cette année, même s’il y a 740 places en moins dans Parcoursup. De même, la plupart des universités qui fixaient des capacités d’accueil cette année ont inscrit tous les étudiants qui ont confirmé leurs vœux. Seules Lyon 2, certaines universités parisiennes et Strasbourg ont pratiqué un tirage au sort. Les capacités d’accueil, même en baisse, ne signifient pas nécessairement une sélection accrue.

Voici une explication qui devrait faire plaisir à la ministre, sauf que cela veut également dire qu’il était faux de prétendre qu’il restait des places cet été dans les universités tout comme il est faux de prétendre aujourd’hui créer 22.000 places dans ParcourSup.

De fortes disparités territoriales et selon le type d’établissement

Ce que souligne Parcoursup c’est l’importance des disparités selon les territoires et les universités. Deux tendances se dessinent. La première est le renforcement de la sélection dans les universités déjà très sélectives. Il y a souvent moins de places là où la demande était forte et plus là où elle l’était moins. L’université de Versailles Saint Quentin qui est celle qui a reçu l’année dernière le plus de demandes par place disponible, réduit encore de 55 places ses capacités d’accueil à la prochaine rentrée. Il en va de même à Évry, autre université très demandée l’année dernière. Les places nouvelles sont plutôt créées dans des formations AES à petits effectifs et non dans celles qui accueillent déjà plus de 250 étudiants.

Deuxième tendance: les places ouvrent dans des parcours spécialisés dont le "vivier" n'est pas le même que les parcours généralistes où les places sont supprimées. En île de France, je doute que passer de 79 places à 140 dans le parcours AES « Amérique » de Paris XII, équilibre les places supprimées à Evry ou à l'UVSQ.

Un écart considérable entre l’offre et la demande

C'est l'enseignement le plus frappant des données Parcoursup : l’écart considérable selon les régions entre la demande de formation et les places disponibles. Pour l’année dernière, le ratio moyen entre les demandes et le nombre de places était de 6,35 demandes pour une place. Mais cette moyenne masque des écarts considérables entre les universités de Troyes ou de Metz qui ont reçu respectivement 1,73 et 1,78 dossiers par place disponible et l’UVSQ que je citais précédemment et qui a reçu 33,89 dossiers par place disponible. Et parcoursup ne fait généralement qu’augmenter ces écarts, même s’il faudra attendre l’impact de la diminution du nombre de vœux pour tirer des conclusions définitives.

Pour conclure, prétendre créer 22.000 places n’a aucun sens, c’est de la COM. Si l’on ne peut être certain des conséquences de Parcoursup, il semble que le dispositif renforce les inégalités au lieu de les atténuer. Je vous invite maintenant à faire la même chose que moi, je me ferai un plaisir de publier vos résultats.

3 commentaires:

  1. Excellent, Yann. j'ai repris le début de ta chronique sur mon blog
    https://histoiresduniversites.wordpress.com/2018/01/26/parcoursup-places-supplementaires/

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  2. Je me permets de donner une précision : pour mon IUT, les capacités pour cette année sont celles en S1 en incluant les redoublants et étudiants étrangers (Campus France, ADIUT et partenariats) alors que les capacités affichées pour l'an prochain sont celles ouvertes aux candidats Parcoursup, soit environ 40 places de moins, alors qu'en fait on reste constant.

    Bref, c'est du grand n'importe quoi.

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