Après Parcoursup, c’était le coup de grâce de la rentrée universitaire pour tous les étudiants : la CéVEC. La « contribution de vie étudiante et de campus » à 90€ qui faisait flamber les frais d’inscription dans le SUP public. Telle Perrette, la CPU, cotillon simple et souliers plats, avait soutenu la mesure les yeux brillants, comptant déjà dans sa pensée tout le prix de son lait. Il fallu bien déchanter lorsque la loi ORE confia aux CROUS la manne tant espérée, mais le mal était fait.
Précision importante pour la suite, la CéVEC est un impôt. À force de propagande, les thuriféraires de l’excellence et du libéralisme qui nous gouvernent avaient donc réussi l’exploit de créer le premier impôt sur l’accès au Savoir.
Le principe de la CéVEC est simple : sauf exception (boursiers, réfugiés, demandeurs d’asile), tous les étudiants inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur doivent payer l’impôt. Ensuite, le code de l’éducation (art. L841-5) dresse la liste des établissements bénéficiaires de cet impôt. À tout seigneur toute honneur, il s’agit d’abord des CROUS, puis des universités et écoles publiques, des écoles consulaires délivrant des diplômes visés par l’État, des 61 EESPIG (écoles d’ingénieurs et de commerce, écoles catholiques) et des écoles d’art et de design publiques ayant le statut d’établissement public de coopération culturelle.
Un décret de juin 2018 (articles D841-5 code éducation) détaille la répartition du Trésor : Les universités et écoles publiques recevront 41€ par étudiant inscrit en formation initiale, les autres 20€. En revanche les autres établissements d’enseignement supérieurs, en particulier la galaxie des écoles de second rang plus ou moins sérieuses dispensant des formations « RNCP » n’étaient pas bénéficiaires*.
Et ce matin, surprise au Journal Officiel, finalement les étudiants de ces établissements vont tout de même bénéficier de la manne publique. Un décret relatif aux modalités de programmation et de suivi des actions financées par la CéVEC crée un nouvel article D841-10 du code de l’éducation qui impose aux CROUS de veiller « à organiser des actions spécifiques destinées aux étudiants inscrits dans un établissement d'enseignement supérieur qui n'est pas bénéficiaire du produit de la contribution vie étudiante et de campus » sur le solde des recettes qui leur revient ! Le texte ne peut concerner les lycées, publics ou privés, qui préparent à des BTS puisque ce ne sont pas des établissements d’enseignement supérieur. Il concerne donc ces écoles privées de second ordre.
La ficelle est grosse : les établissements privés exclus par la loi du bénéfice de la CéVEC ne recevront rien, mais leurs étudiants bénéficieront « d’actions spécifiques » financées par la CéVEC ! Comme on imagine mal les CROUS monter de telles actions dans le dos des établissements concernés, l’esprit, sinon la lettre, de la loi est clairement contredit par le nouveau décret.
Et c’est là que la notion d’impôt est importante. On enseigne dès l’introduction des cours de finances publiques ou de fiscalité que la différence entre un impôt et une redevance est l’absence de contrepartie. C’est ce qui a conduit le Conseil d’État, dans l’avis qu’il a rendu sur la loi ORE, à considérer que la CéVEC « présente, en l’absence de contrepartie directe à son paiement, le caractère d’une « imposition de toute nature » dont les règles relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement relèvent de la loi en application de l’article 34 de la Constitution » (point 28 de l'avis). Or si la CéVEC est une imposition, son affectation à une autre personne morale que l’État ne peut également être décidée que par une loi, loi ordinaire pour le Conseil d’État. C’est le principe posé par l’article 2 de la loi organique de 2001 relative aux lois de finances, loi organique qui formule une seconde exigence : un tiers ne peut recevoir les revenus d’une imposition qu’à raison des missions de service public qui lui sont confiées.
En imposant aux CROUS de mettre en place des actions spécifiques pour les étudiants des établissements qui ne bénéficient pas de la CéVEC, le décret du 19 mars 2019 contredit de façon assez manifeste ces principes élémentaires. Et le risque de contentieux est important. Comme les recettes de la CéVEC sont globalisées, tous les étudiants qui ont payé cette CéVEC sont susceptibles de contester devant le juge administratif la légalité de ce décret. Et s’ils n’obtiennent pas gain de cause en contestant le décret, les mêmes étudiants pourront contester chaque « action spécifique » des CROUS parce qu’elle affecterait une partie de l’impôt à des personnes privées qui n’assument aucune mission de service public, le tout sans autorisation de la loi. Voici les CROUS fragilisés et tout ça pour quoi ?
Car c’est bien le sens politique de ce décret qui est le plus choquant. Après les exploits du secrétaire d’État Attal mentant sans vergogne lors des travaux parlementaires sur la loi ORE et Parcoursup pour satisfaire les écoles privées, le décret confirme l’hypocrisie du discours gouvernemental. Devant les caméras, le gouvernement jure de son attachement au service public et vocalise sur l’excellence et l’autonomie des universités. Puis, en catimini, il confie au ministre le soin de décider des orientations prioritaires des actions financées par la CéVEC relayant l'université au rang d'exécutant (art. D841-8 nouveau) et vole au secours des écoles qui ne participent pas au service public, et pour cause, tant leurs exigences pédagogiques et scientifiques sont parfois éloignées des critères d’excellence de l’enseignement supérieur. Oui l’éducation n’est qu’un business pour ce gouvernement, un business qu’il entend faciliter et rendre rentable ; à tout prix.
Note : * De mon point de vue, mais l’analyse mériterait d’être confirmée, les écoles qui ont choisi le statut d’EESC comme HEC ou celles qui se sont transformées en sociétés commerciales sont également exclues du bénéfice de la CéVEC. Si tel est le cas, la ficelle serait... encore plus grosse !
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