crédit image : @acmartinique
Alors que 96 postes seront supprimés dans l’enseignement secondaire à la prochaine rentrée en Martinique (Le Monde, 19 déc. 2018), c’est avec beaucoup de fierté que le préfet de police, le procureur de la République et le recteur ont annoncé sur les réseaux sociaux la signature d’un «protocole de contrôle des armes et des stupéfiants en milieu scolaire ». Le texte qui, à ma connaissance, n’a pas été rendu public, serait destiné, selon la presse, à « établir, en concertation avec les différents signataires, les conditions dans lesquelles les opérations de recherche de stupéfiants et d'armes en milieu scolaire doivent être réalisées, afin qu'elles concilient efficacité, respect de l'élève et sérénité au sein de la structure éducative ».
Plus précisément : « le contrôle du ou des élèves se déroulera dans un local autre qu'une salle d'enseignement » et « la présence de maîtres de chiens est acceptée eu égard à l'objet du contrôle ». Au terme du contrôle, « le procureur de la République autorise le responsable des forces de l'ordre présent à communiquer au chef d'établissement, à l'issue de l'opération, les données anonymisées concernant le nombre d'élèves ou de classes contrôlés et le nombre d'élèves trouvés en possession de stupéfiants ». Clairement, la question des armes est un prétexte, c’est bien la chasse aux jeunes consommateurs de stupéfiants qui est organisée 3 jours avant la veillée de Noël.
Malheureusement, cette annonce s’inscrit dans une longue tradition initiée au milieu des années 1980 avec les partenariats école/police. Les USA qui ont servi de modèle ont renoncé au dispositif en raison de son inefficacité, mais la France s’obstine. À la fin des années 90 on se souvient de la circulaire de Ségolène Royal, alors ministre déléguée de Claude Allègre, qui, en cas de suspicion d’usage, prévoit d’inviter les élèves à présenter le contenu de leur cartable, l’élève s’y refusant devant être « isolé de ses camarades, le temps que toutes les dispositions permettant de mettre fin à cette situation soient prises » (NOR : MENE9802137C). En 2008 c’est une fillette fouillée à corps dans un couloir du collège devant 3 gendarmes qui suscite une vive réaction de la Ligue des Droits de l’Homme, du Syndicat de la magistrature et du Syndicat des avocats de France, obligeant Xavier Darcos à réagir (Rapport d’enquête Marciac, nov. 2008). Plus près de nous, c’est la région Île-de-France qui envisage de pratiquer des tests de dépistage dans les lycées, ou la ville de Béziers qui met des tests à disposition des parents pour qu’ils contrôlent leurs enfants.
Valérie Pécresse ou Robert Ménard en ont rêvé, Jean-Michel Blanquer l’a donc fait : une approche purement répressive de la problématique de l’usage de stupéfiants chez les jeunes. Pourtant, à en croire les résultats de l’enquête ESPAD de 2015, localement la question de l’usage de stupéfiants, et en particulier de cannabis, est loin d'être la plus dramatique. En Martinique, le nombre d’expérimateurs ou même d’usagers réguliers est plus faible qu’en métropole, respectivement 35,6% contre 44% et 18,9% contre 22,6%.
On nous dira que ce genre de pratiques n'est pas propre à la Martinique et c'est tristement exact. Dans l'académie de Montpellier, au Lycée Jean Vilar, on prévoit que si un élève fume du cannabis "le chef d'établissement informe les parents pour une prise en charge de leur enfant et prévient les services de police".
On nous dira que c’est la loi, et comme pour l’amende forfaitaire délictuelle, c’est bien le problème : considérer une pratique sociale qui devient parfois une problématique de santé comme un acte de délinquance. On pourra aussi rappeler que de tels dispositifs visent également à contourner la loi et en particulier le droit reconnu au mineur de s’opposer à ce que les personnels de santé informent les parents des décisions médicales à prendre lorsque l'action de prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement ou l'intervention s'impose pour sauvegarder la santé du mineur (art. L1111-5 C. sant. pub.). Les résultats seront anonymisés? Mais quel anonymat va-t-on garantir quand la recherche de stupéfiants se fait avec des chiens dans la cour de récréation ou le réfectoire d'un établissement scolaire, au vu et au su de tout le personnel éducatif et administratif ? La prohibition autorise les gendarmes et le procureur de la République à faire ce qu’un médecin ou un infirmier ne peuvent faire.
Bien évidemment, les conséquences d’un tel protocole sur la prévention des addictions sont destructrices. On plaint ici les services de médecine scolaire et les acteurs du social. L’école ne peut plus être un lieu de parole et d’accompagnement si elle devient le lieu où s’exerce la contrainte pénale. La focalisation quasi-hystérique sur le cannabis peut avoir d'autres conséquences plus dramatiques. Que fera-t-on contre l’usage détourné de solvants, d’essence ou même, comme cela s’est vu en Russie, de parfum comme substitut aux boissons alcoolisées prohibées ?
Plutôt que de traiter la cause du mal, le gouvernement en combat la visibilité. Les jeunes ne sont plus considérés comme des victimes des drogues, mais comme des délinquants et deviennent les premières victimes de la prohibition. Quant à l'école en participant à dénoncer ses élèves qui consomment des drogues, elle renonce à sa mission : éduquer.
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