mardi 6 septembre 2016

Master: voulez-vous rendre aux universités leur autorité pédagogique et scientifique ?

L'ordonnance que vient de rendre le tribunal administratif de Lyon le 2 septembre pourrait bien porter le coup de grâce aux masters dans les universités françaises. La faute n'en revient ni au juge, ni aux avocats qui appliquent la réglementation, mais aux gouvernements successifs qui depuis 18 ans ont bâti sur du sable la grande réforme du LMD et le "processus de Bologne".

La règle rappelée par le juge est simple: tout étudiant titulaire d'une licence ou d'un diplôme équivalent peut s'inscrire dans le master de son choix.

Dans le cas présent, une étudiante titulaire d'un diplôme d'infirmière souhaitait s'inscrire dans un master en Droit de la santé, parcours "Juriste manager des structures sanitaires et sociales". L'université, après avoir étudié son dossier, avait refusé sa candidature, le diplôme dont se prévalait la candidate n'étant pas du même "domaine" que celui du master dans lequel elle postulait.

Pour fonder son refus, l'université s'appuyait sur l'article 5 de l'arrêté du 25 avril 2002 relatif au diplôme de master qui précise que les candidats doivent justifier "d'un diplôme national conférant le grade de licence dans un domaine compatible avec celui du diplôme national de master".

Mais c'était sans compter avec le grand principe de la hiérarchie des normes: la norme la plus basse ne peut être contraire à la norme la plus haute. Or la loi, en l'espèce l'article L612-6, indique simplement que "l'admission dans les formations de 2ème cycle est ouverte à tous les titulaires des diplômes sanctionnant les études de premier cycle". Puisque la loi, norme la plus haute, ne fixe aucune condition à l'entrée en master autre que celle d'avoir le grade de licence, les textes inférieurs , décrets ou arrêtés, ne peuvent être plus contraignants. Les universités ne sont donc pas autorisées à refuser une inscription en M1 en fonction du domaine du diplôme de premier cycle.


La portée de cette ordonnance, si elle est confirmée au fond, est considérable. Inutile de souligner la médiocrité du travail accompli par ceux qui depuis 20 ans gouvernent le SUP. Ce sont les mêmes, toujours en fonction, toujours influents, distribuant à tous les candidats à toutes les primaires leur prêt-à-penser-idéologique, alors que chaque jour nous apporte la démonstration de leur incompétence.

On notera que les petits malins qui pensaient échapper aux contentieux en sélectionnant en M1 plutôt qu'en M2 en sont pour leurs frais, mais le plus important n'est pas là. Que ce soit au fil des contentieux ou des déclarations des ministres, on dénie aux universités toute autorité pédagogique et scientifique.  L'université n'a pas le choix, elle doit accueillir tout les étudiants, comme ils le veulent, comme elle le peut.

Voilà la grande évolution du SUP! Et plutôt que de voir les choses par le petit bout de la lorgnette je propose à tous les candidats à toutes les primaires de répondre à cette question: voulez-vous rendre aux universités leur autorité pédagogique et scientifique?

11 commentaires:

  1. Merci Yann pour cette chronique sans langue de bois et sans démagogie

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  2. surtout urgent de redonner l'autonomie intellectuelle et pédagogique aux enseignants. Arrêtons de les infantiliser. Comment nous demander de faire de la pédagogie rapprochée auprès des étudiants et de prétendre tout savoir de la rue Descartes.

    Pour reprendre votre expression..plutôt que de voir les choses de la rue de Grenelle, laissez nous les voir de l'amphi, du labo!

    Comment le même ministère peut il à la fois former des enseignants pendant plus de 30ans ( pré et post bac..) et invalider cette formation par des directives contradictoires et incompatibles avec la confiance nécessaire.

    demander aux candidats de fermer, d'un bloc: les IG, et tous les services dont le seul objet est de circulariser des circulaires

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  3. Cher collègue,

    Merci beaucoup de votre billet informé et ô combien lucide.

    Les élites politiques, qui n'en sont souvent pas issues, demandent à l'université française la quadrature du cercle: accueillir toujours plus d'étudiants (60% d'une classe d'âge à la licence comme nouvel objectif!), avec moins d'argent et sans aucune sélection.

    Le tout en participant à la compétition mondiale de plus en plus féroce de l'enseignement supérieur, où les universités étrangères ont plus d'argent, plus d'autonomie et le droit de sélectionner à leur entrée.

    Mais dans quel monde vivent nos bien-aimés dirigeants de la rue Descartes?

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    1. Merci pour votre réaction, "l'excellence pour tous", "l'autonomie" sans autonomie, ces injonctions contradictoires sont en effet au coeur du problème du SUP. Il faut en débattre et poser la question aux politiques : quelle (s) mission (s) pour l'université française ?

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  4. Je suis en plein accord avec ce papier. Le corollaire de cette position en faveur de l'autonomie des universités me semble être la sélection à l'entrée en M1. Pouvez-vous préciser votre position sur ce point ?

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  5. Bonjour et merci pour votre commentaire. L'interdiction de toute sélection en M1 était prévisible avant le décret (voir mes chroniques sur ce blog dès le mois de février)

    J'estime que le LMD est une erreur fondamentale. Ce n'est pas un système "universel", contrairement à ce que l'on a prétendu, et il n'offre que de mauvaises solutions. Sans sélection en M1, les universités vont "sélectionner" par l'échec en licence: n'auront la licence que ceux qui pourront continuer en master. Je désapprouve cette solution, l'examen devant sanctionner les compétences acquises et non celles qui devront l'être en master. Mais sélectionner en M1 pose un autre problème: empêcher, dans bien des cas, l'accès des étudiants au niveau "cadre" dans les entreprises. Le diplôme de maîtrise (lié au M1) permettait d'éviter ce double écueil et c'est une des raisons pour lesquelles je suis très critique sur le Processus de Bologne.

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    1. S'opposer au modèle LMD/processus de Bologne me semble une posture indéfendable. Car au niveau mondial le modèle Bachelor/Master/Doctorat est largement dominant. Vouloir se cramponner à la maîtrise me semble non seulement franco-français, mais limité au domaine du droit. L'autonomie des universités dans leur capacité à sélectionner impose une sélection en M1.

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    2. Désolé, au niveau mondial le LMD n'existe pas. Le processus de Bologne s'est inspiré du modèle privé anglo-saxon qui n'a rien d'universel. Notre système Licence/Maîtrise/DEA ou DESS était plus international.
      En Asie, par exemple dont le poids est croissant, La Licence est en 4 ans et non en 3 et s'appelle Benke en Chine, Dai Hoc au Vietnam, le "master" en 1 à 3 ans etc.
      Garder la maîtrise en plus de la licence et du master permet de se recaler sur le système mondial et non l'inverse.
      Bien à vous

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    3. Désolé, moi aussi, de vous contredire. Le "LMD" est le nom français donné au modèle à trois étages adopté à Bologne par 40 pays européens. C'était depuis longtemps le modèle anglo-saxon, mais il n'a rien de "privé". Et c'était aussi le modèle de tout le continent américain, de l'Inde, de l'Afrique anglophone, du Moyen-Orient et de l'Asie du sud-est, etc. Depuis Bologne ce modèle a été adopté par la totalité des pays de l'ex Urss et par l'Afrique francophone. La seule variante est que dans certains pays où le niveau du secondaire est faible (USA, Brésil, Chine, etc.) le Bachelor se fait en 4 ans alors qu'il dure 3 ans la plupart du temps. Mais dans aucun pays au monde on ne délivre un diplôme tous les ans comme en France (Licence, Maîtrise, Master). Ce n'est pas cela le système mondial.
      Cordialement

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  6. Bonjour,
    Excusez le commentaire d'un naïf, qui plus est non issu de l'Université, mais votre position m'interroge.
    D'une part sur l'exemple donné d'une personne possédant un diplôme équivalent à la licence d'un domaine différent mais ayant à mon sens des connexions avec le domaine visé (connaissance des structures de santé, de la hiérarchie, de la responsabilité pénale liée aux actes effectués, etc.).
    L'université se fonde sur un texte pour écarter la candidature, soit. Ce fondement juridique est rebouté, soit.
    Vous souhaitez malgré cela pouvoir sélectionner.
    Il faudra bien s'appuyer sur des critères objectifs pour le faire se fondant sur une loi que vous reprochez aux responsables politiques de n'avoir pas développé. Pourquoi pas.
    Mais fondamentalement, qu'est-ce qui justifie cette volonté de vouloir absolument faire cette sélection et quel est le risque de laisser des étudiants de domaines différents pouvoir continuer vers une voie qui les attire ?
    Avez-vous des statistiques montrant un taux d'échec particulièrement important pour ces étudiants ?
    Est-ce que le niveau global s'en ressent ?
    Pardonnez ma méconnaissance du système, mais on a l'impression à vous lire qu'il s'agit plus d'une susceptibilité corporative.

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  7. Merci pour votre commentaire. Il ne s'agit pas de corporatisme pour une simple raison: les universitaires n'ont rien à gagner à voir échouer leurs étudiants!
    Les universités sont soumises à des injonctions contradictoires. On leur demande d'accueillir plus d'étudiants avec moins de moyens en les faisant mieux réussir sans les sélectionner en fonction de leurs compétences! La première exigence, d'où le titre de cet article, c'est de clarifier les attentes vis-à-vis des universités.
    Ensuite, il est normal qu'un étudiant puisse suivre les études de son choix, encore faut-il qu'il puisse réussir ce qui suppose des pré-requis. Une infirmière est-elle capable de faire des commentaires d'arrêts? Connaît-elle la règle de la non-affectation des recettes? Un juriste maîtrise-t-il le russe littéraire? A priori non et l'étudiant court à l'échec. Avant de se réorienter il faut reprendre un certain nombre de fondamentaux pour pouvoir suivre en master.

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